Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/387

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Rosa. Vous rappelez-vous le jour où, trop fidèle au sang que vous lui avez mis dans les veines, dans un transport d’orgueil, trop caressé par sa mère, il m’a fait cela, il m’a défigurée pour la vie ? Regardez-moi, je mourrai avec l’empreinte de son cruel déplaisir ; et puis pleurez et gémisses sur votre œuvre !

— Miss Dartle, dis-je d’un ton suppliant, au nom du ciel !

— Je veux parler ! dit-elle en me regardant de ses yeux de flamme. Taisez-vous ! Regardez-moi, vous dis-je, orgueilleuse mère d’un fils perfide et orgueilleux ! Pleurez, car vous l’avez nourri ; pleurez, car vous n’avez corrompu ! pleurez sur lui pour vous et pour moi. »

Elle serrait convulsivement les mains ; la passion semblait consumer à petit feu cette frêle et chétive créature.

« Quoi ! c’est vous qui n’avez pu lui pardonner son esprit volontaire ! s’écria-t-elle, c’est vous qui vous êtes offensée de son caractère hautain ; c’est vous qui les avez combattus, en cheveux blancs, avec les mêmes armes que vous lui aviez données le jour de sa naissance ! C’est vous, qui, après l’avoir dressé dès le berceau pour en faire ce qu’il est devenu, avez voulu étouffer le germe que vous aviez fait croître. Vous voilà bien payée maintenant de la peine que vous vous êtes donnée pendant tant d’années !

— Oh ! miss Dartle, n’êtes-vous pas honteuse ! quelle cruauté !

— Je vous dis, répondit-elle, que je veux lui parler. Rien au monde ne saurait m’en empêcher, tant que je resterai ici. Ai-je gardé le silence pendant des années pour ne rien dire maintenant ? Je l’aimais mieux que vous ne l’avez jamais aimé ! dit-elle en la regardant d’un air féroce. J’aurais pu l’aimer, moi, sans lui demander de retour. Si j’avais été sa femme, j’aurais pu me faire l’esclave de ses caprices, pour un seul mot d’amour, une fois par an. Oui, vraiment, qui le sait mieux que moi ? Mais vous, vous étiez exigeante, orgueilleuse, insensible, égoïste. Mon amour à moi aurait été dévoué… Il aurait foulé aux pieds vos misérables rancunes. »

Les yeux ardents de colère, elle en simulait le geste en écrasant du pied le parquet.

« Regardez ! dit-elle, en frappant encore sur sa cicatrice. Quand il fut d’âge à mieux comprendre ce qu’il avait fait, il l’a vu et il s’en est repenti. J’ai pu chanter pour lui faire plaisir, causer avec lui, lui montrer avec quelle ardeur je m’intéressais