Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/55

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« Pardon, pardon, en avait pris soin de lui. Je veux dire qu’il ne jouissait pas autant que moi de l’ineffable bonheur d’être près de vous. »

Dora baissa la tâte sur son dossier, et dit au bout d’un moment (j’étais resté assis tout ce temps-là dans un état de fièvre brûlante, je sentais que mes jambes étaient roides comme des bâtons) :

« Vous n’aviez pas l’air de sentir ce bonheur bien vivement pendant une partie de la journée. »

Je vis que le sort en était jeté, et qu’il fallait en finir sur l’heure même.

« Vous n’aviez pas l’air de tenir le moins du monde à ce bonheur, dit Dora avec un petit mouvement de sourcils et en secouant la tête, pendant que vous étiez assis auprès de miss Kitt. »

Je dois remarquer que miss Kitt était la jeune personne en rose, aux petits yeux.

« Du reste, je ne sais pas pourquoi vous y auriez tenu, dit Dora, ou pourquoi vous dites que c’était un bonheur. Mais vous ne pensez probablement pas tout ce que vous dites. Et vous êtes certainement bien libre de faire ce qu’il vous convient. Jip, vilain garçon, venez ici ! »

Je ne sais pas ce que je fis. Mais tout fut dit en un moment. Je coupai le passage à Jip ; je pris Dora dans mes bras. J’étais plein d’éloquence. Je ne cherchais pas mes mots. Je lui dis combien je l’aimais. Je lui dis que je mourrais sans elle. Je lui dis que je l’idolâtrais. Jip aboyait comme un furieux tout le temps.

Quand Dora baissa la tête et se mit à pleurer en tremblant, mon éloquence ne connut plus de bornes. Je lui dis qu’elle n’avait qu’à dire un mot, et que j’étais prêt à mourir pour elle. Je ne voulais à aucun prix de la vie sans l’amour de Dora. Je ne pouvais ni ne voulais la supporter. Je l’aimais depuis le premier jour, et j’avais pensé à elle à chaque minute du jour et de la nuit. Dans le moment même où je parlais, je l’aimais à la folie. Je l’aimerais toujours à la folie. Il y avait eu avant moi des amants, il y en aurait encore après moi, mais jamais amant n’avait pu, ne pouvait, ne pourrait, ne voudrait, ne devrait aimer comme j’aimais Dora. Plus je déraisonnais, plus Jip aboyait. Lui et moi, chacun à notre manière, c’était à qui se montrerait le plus fou des deux. Puis, petit à petit, ne voilà-t-il pas que nous étions assis, Dora et moi, sur le canapé,