jours après le malheureux sevrage de Paul. Mme Wickam était une femme douce et blonde ; ses sourcils étaient toujours levés, sa tête toujours baissée ; toujours prête à se plaindre, se faire plaindre ou plaindre le prochain ; elle avait reçu de la nature un talent surprenant pour envisager les choses toujours sous leur plus mauvais côté, sous leur jour le plus sombre, et c’était dans l’exercice de ce talent qu’elle trouvait sa plus grande consolation.
Il est presque inutile de dire que jamais l’esprit majestueux de M. Dombey ne s’abaissa jusqu’à daigner remarquer cette particularité. Au reste, il eût été bien étonnant qu’il en eût eu connaissance, quand personne dans la maison, pas même Mme Chick, pas même miss Tox, n’avait jamais osé lui faire entendre dans aucune circonstance qu’on pût avoir quelque inquiétude sur la santé de Paul. M. Dombey s’était dit qu’un enfant ne pouvait éviter certaines petites maladies, qui sont inséparables de son âge, et que, plus tôt elles se déclareraient, plus tôt il en serait quitte. S’il avait pu les lui épargner à prix d’argent, ou lui trouver un remplaçant, comme pour le service militaire, quand on a attrapé un mauvais numéro, il l’aurait fait certainement sans marchander, mais il y avait là impossibilité ; et M. Dombey, du haut de son orgueil, s’était simplement demandé quelquefois quelle pouvait être en cela l’intention de la nature ; puis il se consolait à chaque maladie, en pensant que son fils avait franchi sur la route une nouvelle borne qui le rapprochait d’autant plus du terme du voyage. Le sentiment qui le dominait, et qui devenait plus fort et plus violent à mesure que Paul grandissait, était l’impatience : L’impatience d’arriver à ce jour où ses vues d’importance et de grandeur seraient réalisées d’une manière triomphante par son association avec son fils.
Quelques philosophes prétendent que l’amour-propre se trouve toujours au fond de l’amour le plus vif et des affections les plus sincères. Le petit Paul, au moment même de sa naissance, était devenu pour M. Dombey une partie de sa propre grandeur, ou, ce qui revient au même, une partie de la grandeur de la maison Dombey et fils. Aussi sa tendresse paternelle ressemblait-elle à ces grandes réputations dont souvent l’édifice magnifique repose sur des fondements peu solides. Cependant il aimait son fils de tout l’amour dont il était capable. S’il y avait dans son cœur glacé un petit coin de chaleur, c’était là qu’habitait son fils ; si une image pouvait se