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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/132

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si souvent le long de la route et, assis dans la salle à manger, il s’était fait un soir toute une galerie de portraits imaginaires de la bonne Mme Brown. On avait pu remarquer que, depuis sa rencontre avec Florence, il était plus recherché dans sa mise, et l’on ne pouvait disconvenir que, dans ses moments de liberté, il se plaisait à se promener du côté de la ville où se trouvait la maison de M. Dombey, dans l’espoir bien incertain d’apercevoir la petite fille dans la rue. Mais tout cela n’était qu’un innocent enfantillage. Florence était fort gentille, et l’on trouve plaisir à regarder une gentille figure ; Florence était faible et sans défense, et l’on pouvait être fier de l’avoir protégée, de l’avoir défendue ; Florence avait le cœur le plus reconnaissant du monde, et l’on éprouvait un charme infini à voir l’expression de cette reconnaissance briller dans ses yeux. Florence enfin était abandonnée, dédaignée, et Walter éprouvait l’intérêt le plus vif pour la pauvre enfant délaissée dans la triste et somptueuse demeure de son père.

Dans le courant de l’année, il arriva que peut-être cinq ou six fois Walter ôta son chapeau dans la rue pour saluer Florence et que celle-ci s’arrêta pour lui donner la main. Mme Wickam qui, métamorphosant son nom d’une manière assez singulière, ne manquait pas de l’appeler le jeune Graves, ne voyait aucun mal à ces rencontres, sachant comment ils s’étaient connus. Miss Nipper, de son côté, semblait presque chercher ces occasions ; car son cœur sensible était secrètement touché par les doux regards de Walter, et elle croyait en conscience que ses sentiments étaient payés de retour.

De cette façon, Walter, loin d’oublier ou de perdre de vue la petite Florence, ne faisait qu’y penser chaque jour davantage. Quant à la manière romanesque dont avait commencé leur connaissance, et à tous les détails qui y ajoutaient un caractère et un charme particulier, il éprouvait un plaisir infini à en nourrir son imagination et n’avait nulle envie de bannir de son esprit un petit roman aussi agréable ; mais il ne regardait pas ce qui s’était passé comme une affaire dans laquelle il eût un intérêt positif. Florence lui apparaissait toujours se détachant du tableau ; mais lui, il restait à l’écart. Quelquefois il lui arrivait de songer (et il fallait voir alors sa marche rapide), il lui arrivait de songer combien il aurait été beau pour lui de s’être embarqué le lendemain de leur première rencontre, d’avoir abordé à de lointains rivages, d’y avoir fait des prodiges de valeur, et, après une longue absence, d’être re-