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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/183

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bouillie, de légumes, de gâteaux, de fruits et de fromage. Chaque élève avait une lourde fourchette d’argent et une serviette, et tout le service se faisait d’une manière digne et imposante. Il y avait, entre autres, un sommelier, en habit bleu, garni de boutons brillants, qui avait le talent de donner à la petite bière qu’il servait l’air d’un vin savoureux, tant il la versait avec une précaution élégante.

Personne ne parlait, à moins qu’on ne lui adressât la parole, à l’exception du docteur, de Mme Blimber et de miss Blimber, qui causaient de temps à autre. Quand un jeune homme n’avait rien à faire avec son couteau, sa fourchette ou sa cuiller, son œil, par une attraction irrésistible cherchait l’œil du docteur, de Mme Blimber ou de miss Blimber, et se fixait modestement sur cette dernière. Toots, seul, semblait faire exception à cette règle. Il était assis à table près de M. Feeder du même côté que Paul, et gêné par les élèves qui les séparaient, il se penchait souvent en avant ou en arrière pour l’apercevoir.

Une seule fois, pendant le dîner, la conversation eut rapport aux jeunes gens. Ce fut au moment du fromage. Le docteur ayant pris un verre de vin de Porto, toussa deux ou trois fois et dit :

« Il est étonnant, monsieur Feeder, que les Romains… »

Au seul nom de ce terrible peuple, leur ennemi implacable, tous les jeunes gens se hâtèrent de tourner leurs regards vers le docteur, en faisant mine de prendre à la conversation le plus grand intérêt. Un d’entre eux, qui buvait par hasard à ce moment, ayant aperçu à travers son verre l’œil brillant du docteur, s’arrêta si vivement qu’il en fut comme étranglé, et fit perdre au docteur Blimber, par ses quintes convulsives, le fil de ses idées.

« Il est étonnant, monsieur Feeder, reprit lentement le docteur, que les Romains, dans leurs festins splendides et somptueux dont il est parlé au temps des empereurs, quand le luxe eut atteint un degré jusque-là inconnu et perdu de nos jours, quand toutes les provinces étaient ravagées pour suppléer aux dépenses inouïes d’un banquet impérial… »

Ici, le coupable, tout rouge des efforts qu’il faisait pour se retenir, attendant, mais en vain, la fin de la phrase, n’y tint plus et toussa violemment.

« Johnson, dit M. Feeder à voix basse d’un air mécontent, buvez un peu d’eau. »