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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/193

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une telle entreprise ; elle avisa un jeune garçon aux cheveux d’Albinos, avec un tablier de calicot noir, employé dans un cabinet de lecture qui avait sa pratique, et le contraignit à l’accompagner dans ses recherches. Elle lui en fit voir de toutes les couleurs en le promenant deçà, delà, de tous les côtés ; aussi ne fût-ce que pour s’en débarrasser, le pauvre garçon se donna un mal d’enragé, et Suzanne, grâce à son empressement, put rentrer triomphante à la maison.

Ayant en main ces trésors, Florence, après ses leçons de chaque jour, travaillait assidûment le soir pour suivre les pas de Paul dans le sentier épineux de la science. Comme elle avait une intelligence prompte et solide, et qu’elle était conduite par le plus habile des maîtres, l’amour, elle eut bientôt rattrapé son frère et l’eut même bientôt dépassé.

Pas un mot de tout ceci n’arriva jusqu’aux oreilles de Mme Pipchin. Mais plus d’une fois, quand tout le monde reposait au château, que miss Nipper, les cheveux roulés dans des papillotes, dormait auprès d’elle dans une pose plus ou moins commode et sans se douter de rien ; que les dernières étincelles du feu s’éteignaient et retombaient en cendres ; que toutes les bougies tiraient à leur fin et coulaient sur la bobèche, Florence travaillait avec tant d’ardeur pour rester à la hauteur d’un petit Dombey, que son courage et sa persévérance lui auraient presque donné le droit de porter elle-même ce nom.

Mais aussi quelle douce récompense, quand un samedi soir, Paul s’étant assis comme d’habitude pour continuer ses travaux, Florence se plaça près de lui et put lui rendre facile ce qui lui était si pénible, lui faire trouver clair et simple ce qui pour lui était si obscur ! Ce ne fut qu’un éclair qui illumina en passant la figure blême de Paul, rien qu’une rougeur subite, un simple sourire, et puis un tendre embrassement : Mais Dieu sait comme le cœur de Florence bondit de joie et se trouva richement payé de sa peine.

« Oh ! Florence, s’écria son frère, que je vous aime ! que je vous aime !

— Et moi, que je vous aime aussi, cher frère !

— Oh ! j’en suis sûr, Florence ! »

Il ne dit rien de plus, mais toute la soirée il resta assis près d’elle, bien tranquillement, et la nuit, il lui cria de sa petite chambre qui touchait à la sienne : « Je vous aime, Florence ! je vous aime beaucoup ! »