Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/23

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— S’en va au diable, dit M. Chick, tout pensif. Pauvre petit ! »

Averti cependant par un geste d’indignation de Mme Chick qu’il s’était laissé aller trop loin, en envoyant au diable un Dombey, M. Chick voulut expier sa faute par une heureuse idée.

« Mais en attendant, ne pourrait-on pas, ma chère, le faire boire à la théière ? »

S’il eût souhaité couper court à la conversation, il n’aurait pas mieux réussi.

Après l’avoir regardé quelque temps d’un air de pitié, Mme Chick, attirée par le roulement d’une voiture, se dirigea majestueusement vers la croisée et regarda à travers la jalousie. M. Chick, voyant qu’il n’avait pas de chance en ce moment, s’éloigna sans rien ajouter. Mais il n’en était pas toujours ainsi. M. Chick, dans les discussions, avait souvent le dessus, et Louisa recevait alors une rude leçon. Dans leurs querelles matrimoniales, ils formaient après tout un couple bien assorti ; monsieur valait madame, et l’un n’était jamais en reste avec l’autre. En général, il eût été bien difficile de parier d’avance pour le gagnant. Souvent, quand M. Chick semblait battu, il se jetait de côté, changeait ses batteries, étourdissait Mme Chick et se rendait maître de la position. Mais, comme il était exposé lui-même, de la part de Mme Chick, à de semblables échecs également imprévus, leurs petits débats avaient toujours un caractère d’incertitude qui les rendait très-animés.

Miss Tox descendit de la voiture dont nous avons parlé et se précipita tout essoufflée dans la chambre.

« Ma chère, dit-elle, la place est-elle encore vacante ?

— Oui, bonne amie.

— Ma chère Louisa, reprit-elle, j’espère, je crois même… Mais dans un moment j’amène ici mon monde. »

Miss Tox descendit l’escalier aussi vite qu’elle l’avait monté, fit sortir son monde du fiacre et l’introduisit bientôt sous son escorte.

On s’aperçut alors que son monde ne se composait pas d’une simple nourrice, comme on aurait pu croire, mais qu’il était plus compliqué, car on vit entrer d’abord une jeune femme dodue et fraîche, à la figure vermeille et joufflue, avec un enfant dans ses bras ; puis une femme plus jeune, un peu moins dodue, mais joufflue aussi, et tenant, à chaque main, un