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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/292

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senti pénétrer cependant les larmes qui tombaient sur elle et que son cœur de chien en eût été ému, Diogène leva son museau vers le visage de sa maîtresse pour lui prêter foi et hommage.

Diogène, le cynique, ne parla pas plus clairement à Alexandre le Grand que Diogène le chien ne parla à Florence. Il consentit à l’offre de sa petite maîtresse de grand cœur et se dévoua tout entier à son service. Un festin lui fut aussitôt préparé dans un coin de la chambre, et quand il eut mangé et bu tout son soûl, il vint à la croisée, où Florence était assise à le regarder, se leva sur ses pattes de derrière, posa ses lourdes pattes de devant sur ses épaules et se mit à lui lécher la figure et les mains, à appuyer sa grosse tête sur son cœur et à remuer sa queue jusqu’à n’en pouvoir plus. À la fin, il se coucha en rond à ses pieds et s’endormit.

Miss Nipper n’aimait pas autrement les chiens, et quand elle entrait dans la chambre elle se croyait obligée de relever soigneusement ses jupes, comme si elle allait passer un ruisseau sur une planche ! Si Diogène venait à s’allonger, elle poussait de petits cris de frayeur et montait sur les chaises ; mais tout cela n’empêchait pas qu’elle ne fût touchée à sa manière de la bonté de M. Toots. En voyant Florence si heureuse de l’attachement et de la société de ce terrible ami du petit Paul, elle ne pouvait se défendre de certaines comparaisons qui lui faisaient venir les larmes aux yeux. Je n’oserais assurer qu’elle n’associât pas dans son esprit, par contraste, la conduite de M. Dombey et celle de Diogène. Quoi qu’il en soit, après l’avoir regardé avec sa maîtresse toute la soirée et s’être évertuée avec beaucoup de bonne volonté à arranger un lit pour lui dans l’antichambre attenante à la chambre de sa maîtresse, elle dit vivement à Florence avant de la quitter :

« Votre papa s’en va demain matin, miss Florence.

— Demain matin, Suzanne ?

— Oui, mademoiselle, les ordres sont donnés : demain, de bonne heure.

— Savez-vous, dit Florence sans la regarder, où papa doit aller, Suzanne ?

— Non, pas bien positivement. Il va d’abord rejoindre ce charmant major, et je dois dire que si jamais (ce dont le ciel me préserve !) je devais faire la connaissance d’un major, ce ne serait certes pas d’un major à face d’indigo !

— Allons ! allons ! Suzanne, dit Florence doucement.