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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/313

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soufflant comme un cheval poussif, le major conduisit son hôte dans le petit salon et là, devenu maître de son émotion, il le reçut avec l’abandon et la liberté qu’on se permet à l’égard d’un compagnon de voyage.

« Dombey, dit le major, je suis bien aise de vous voir. Je suis fier de vous voir. Il y a en Europe bien peu de gens dont Joseph Bagstock en dirait autant, car Josh a l’écorce rude, monsieur : il est ainsi fait, mais, c’est égal, Joe Bagstock est fier de vous voir, Dombey.

— Major, répondit M. Dombey, vous êtes bien obligeant.

— Non, monsieur, dit le major, diantre, ce n’est pas là mon caractère ! Si c’eût été le caractère de Joe, monsieur, Joe serait aujourd’hui le lieutenant général Joseph Bagstock, chevalier commandeur de l’ordre du Bain, et il pourrait vous recevoir dans une autre résidence. Je vois bien que vous ne connaissez pas encore Joe. Mais cela n’empêche pas, cette occasion toute particulière me remplit d’orgueil. Sacrebleu ! monsieur, dit le major d’un air résolu, c’est un honneur pour moi ! »

M. Dombey, grâce à l’estime qu’il avait pour lui-même et pour son argent, trouvait que le major avait raison et par conséquent ne discuta pas la question. Cependant l’instinct du major qui lui faisait reconnaître cette vérité et son aveu plein de franchise ne laissaient pas d’être très-flatteurs. C’était pour M. Dombey une preuve, si jamais il en avait eu besoin, que le major ne se méprenait pas à son sujet. Il voyait clairement que sa puissance s’étendait au delà de sa sphère immédiate, et que le major, dans sa position d’officier et d’homme du monde, lui rendait aussi bien hommage que l’huissier de la Bourse.

Et si jamais consolation vint à propos c’était bien en ce moment, où l’impuissance de sa volonté, l’instabilité de ses espérances, le peu de vertu de sa richesse lui avaient été démontrés d’une manière si cruelle. À quoi sert la fortune ? Son enfant le lui avait demandé souvent ; et quelquefois, en songeant à cette question, il pouvait à peine s’empêcher de se demander lui-même : à quoi sert la fortune ? Car sa fortune, à quoi lui avait-elle servi ?

Mais c’étaient des pensées qui ne lui venaient que quand il était seul, quand les heures tardives de la nuit le trouvaient solitaire et désolé dans sa triste chambre, et l’orgueil venait bien vite lui donner mille témoignages contraires, témoignages aussi incontestables et aussi précieux que ceux du major.