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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/319

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crever, comme le major lui-même ; puis il avait empli ses poches de bouteilles d’eau de Seltz, de délicieux xérès, de sandwichs, de châles, de longues-vues, de cartes, de journaux, bref de tous les menus objets que le major pouvait lui demander en route. Enfin, il annonça que l’on pouvait partir. Pour compléter l’équipement de cet étranger infortuné (il parait que dans son pays c’était un prince), quand il eut pris place sur le siège de derrière à côté de M. Towlinson, le maître d’hôtel lui lança une pile de manteaux et de redingotes, le visant du trottoir avec ces énormes projectiles, semblable à un Titan qui menace le ciel : le pauvre nègre en fut tellement couvert qu’il partit pour l’embarcadère du chemin de fer enseveli tout vivant comme une vestale.

Mais avant que la voiture se fût mise en route, et pendant que s’effectuait l’ensevelissement du nègre, miss Tox parut à sa croisée et agita un mouchoir d’une blancheur de lis. M. Dombey répondit très-froidement à cet adieu, très-froidement, même pour lui. Il lui fit l’honneur d’un signe de tête le plus léger possible et se rejeta dans la voiture d’un air mécontent. Ce mouvement n’échappa pas au major, qui sembla en éprouver un sensible plaisir. Notez que cela ne l’empêchait pas de faire pour sa part à miss Tox mille saluts pleins de politesse. Après quoi, il resta longtemps clignant de l’œil et à moitié suffoqué comme un scélérat de Méphistophélès bien repu.

Pendant la confusion qui précéda le départ du convoi, M. Dombey et le major se promenèrent côte à côte dans la gare. Le premier était triste et silencieux, le second lui racontait ou se racontait à lui-même une foule d’anecdotes et d’historiettes dans lesquelles Joe Bagstock avait toujours le principal rôle. Ni l’un ni l’autre, pendant cette promenade, n’avait remarqué un homme de peine placé près de la locomotive, qui les regardait attentivement et portait la main à son chapeau, chaque fois qu’ils venaient à passer près de lui. Pour M. Dombey, il n’était pas étonnant qu’il ne l’eût pas remarqué, car son regard ne s’abaissait jamais sur ces gens-là ; quant au major, il était tout entier à raconter une de ses histoires. À la fin pourtant, comme ils venaient tous deux de se retourner, l’homme s’arrêta devant eux, et tirant vivement son chapeau, il le garda à la main, en saluant M. Dombey d’un mouvement de tête qui ressemblait à un plongeon de canard.