semblaient avoir allongé sa taille aux dépens de son embonpoint ; car lorsqu’il se montra tout droit, on l’eût pris pour une grande perche ; il était pâle et maigre et sa triste mine paraissait plus piteuse encore sous la forme singulièrement endommagée de son chapeau. Il faut dire que le pauvre garçon, pour faire avancer la voiture, poussait surtout de la tête comme font quelquefois en Orient les éléphants.
« Joe Bagstock, dit le major aux deux dames, est heureux et fier pour le reste de ses jours.
— Vous, perfide ! lui dit la vieille dame, d’une voix nonchalante. D’où venez-vous donc ? Je vous déteste.
— Souffrez donc, repartit vivement le major, que le vieux Joe, pour être un peu moins abhorré, vous présente un ami. M. Dombey, madame Skewton (la dame de la voiture fit un signe de tête gracieux) ; M. Dombey, madame Granger. (La dame au parasol s’aperçut à peine que M. Dombey lui ôtait son chapeau et lui adressait un profond salut.)
— Je me réjouis, monsieur, de cette heureuse circonstance, » dit le major.
Et il semblait de très-bonne foi, car il regarda les trois personnages en même temps et cligna de l’œil en faisant une de ses plus laides grimaces.
— Dombey, dit le major, Mme Skewton fait des ravages dans le cœur du vieux Josh.
— Je n’en suis nullement surpris, dit M. Dombey.
— Démon perfide, dit la vieille dame, cessez ce badinage ! Combien y a-t-il de temps que vous êtes ici, homme sans foi ?
— Un seul jour répondit le major.
— Pouvez-vous être un jour, une minute même, fit la dame en arrangeant doucement avec son éventail ses faux cheveux et ses sourcils non moins faux et en montrant une rangée de fausses dents que faisait ressortir un faux teint ; pouvez-vous être une minute dans le jardin de… comment donc l’appelez-vous ?
— De l’Éden, je suppose, maman, interrompit la jeune dame d’un ton dédaigneux.
— Que voulez-vous, ma chère Edith, je ne puis jamais me rappeler ces noms effroyables. Pouvez-vous, dis-je, être une minute dans ce jardin délicieux et ne pas sentir votre âme, et tout votre être ravis, à la vue de cette belle nature, et tout transportés par les parfums si suaves et si purs que l’on y res-