Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/45

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payé pour son petit bonhomme des impôts, des contributions, des redevances, des taxes, des surtaxes, pendant plus d’années que bien des aspirants de marine en chair et en os n’avaient compté d’années de services, et pourtant il n’en manque pas dans la marine anglaise qui sont devenus de jolis petits vieillards dans l’état d’aspirant !

Le fonds de commerce de ce brave homme se composait de chronomètres, de baromètres, de télescopes, de compas, de cartes, de mappemondes, de sextants, de quadrants et de modèles de tous les instruments utiles pour les traversées. On y trouvait aussi des tables de lochs ou les annales des découvertes. Dans les tiroirs et sur les planches, on voyait des instruments en verre ou en cuivre si compliqués qu’il fallait être du métier pour en ajuster les parties et pour en comprendre l’usage, et après un examen attentif, on aurait eu grand’peine à les remettre dans leur boîte d’acajou, sans l’aide d’un connaisseur. Tous ces objets étaient arrangés avec le plus grand soin dans d’étroites petites cases bien adaptées aux plus petits coins, maintenus et serrés par de petits coussins qui devaient les empêcher d’éprouver le moindre trouble du tangage ou du roulis. On avait pris tant de précautions pour ménager la place et pour faire tenir chaque chose dans le plus petit espace possible ; tous les instruments étaient si bien serrés, si bien enveloppés, si bien maintenus dans leurs boîtes, quelle qu’en fût la forme (car il y en avait de plats, d’autres qui ressemblaient à un tricorne, ou à une étoile de mer, et ce n’étaient pas là les plus bizarres) ; tout était si bien rangé, que la boutique elle-même, par contagion, semblait un petit navire n’attendant qu’un bon vent pour se mettre à la mer et cingler tranquillement à la recherche de quelque île déserte.

Ce qui venait encore ajouter à l’illusion c’étaient certains détails de la vie intime du vieil opticien, si fier de son petit aspirant. Comme tous ses amis étaient en général des fournisseurs de bâtiments, on voyait toujours sur sa table de vrais biscuits de mer ; il aimait les viandes salées, les langues fumées quand elles sentaient surtout un bon goût de corde neuve et de filasse. Les conserves au vinaigre étaient en montre dans d’énormes terrines avec ces mots sur les étiquettes : Négociants en provisions de toutes sortes pour les navires. Les liqueurs fortes étaient contenues dans de grandes bouteilles d’osier sans goulot. Sur les murs, on voyait confondues dans leurs cadres de vieilles gravures de navire avec des renvois alphabétiques