Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/85

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tentit à ses oreilles : « Un taureau furieux ! un taureau furieux ! »

À la vue de l’horrible confusion, des gens courant çà et là en criant, de voitures lancées au galop, d’enfants se battant, de taureaux furieux accourant, de la bonne perdue au milieu de tous ces dangers, la petite Florence se mit à courir en poussant des cris horribles.

Elle courut aussi loin qu’elle le put, pressant Suzanne de faire comme elle ; puis, quand elle se fut arrêtée, désespérée d’avoir laissé Polly en arrière, elle s’aperçut, avec une terreur qu’on ne saurait décrire, qu’elle était tout à fait seule.

« Suzanne ! Suzanne ! cria Florence en joignant les mains avec les signes du plus violent désespoir ; oh ! mon Dieu ! où sont-elles ? où sont-elles ?

— Où sont-elles ? dit une vieille femme qui, tout en boitant, traversait la rue le plus vite possible. Pourquoi vous êtes-vous sauvée ?

— J’avais peur, dit Florence, je ne savais plus ce que je faisais. Je croyais qu’elles étaient avec moi. Où sont-elles ? où sont-elles ? »

La vieille la prit par le poignet et lui dit :

« Venez avec moi, je vais vous conduire. »

C’était une horrible vieille, avec le bord des yeux rouge et une bouche qui remuait et branlait d’elle-même sans qu’elle eût rien à dire. Elle était misérablement vêtue et portait sur son épaule quelques peaux de lapins. Sans doute, elle avait suivi Florence depuis quelque temps déjà, car elle était tout essoufflée, et les contorsions qu’elle faisait faire à son gosier et à sa figure jaune et ridée pour reprendre haleine, la rendaient plus hideuse encore.

Florence en avait peur et regardait en tremblant la rue dont elle avait presque atteint l’extrémité. C’était une rue peu fréquentée, plutôt même un chemin de derrière qu’une rue, et la vieille et la petite fille s’y trouvaient toutes seules.

« Il ne faut pas avoir peur, maintenant, dit la vieille en la serrant toujours fortement ; venez avec moi.

— Mais… je… je ne vous connais pas, moi. Comment vous appelez-vous ? demanda Florence.

— Madame Brown, dit la vieille ; la bonne madame Brown.

— Sont-elles près d’ici ? demanda Florence, qu’elle emmenait toujours.