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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/89

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Pour donner plus de poids à ses instructions, Mme Brown ajouta qu’elle avait autour d’elle à sa disposition des yeux et des oreilles pour voir et entendre tout ce qu’elle ferait et tout ce qu’elle dirait. Florence promit d’observer fidèlement et scrupuleusement les ordres qui lui étaient donnés.

Enfin Mme Brown, passant en avant, conduisit sa petite compagne, méconnaissable sous ses haillons, à travers un labyrinthe de rues étroites, de petites ruelles, de sentiers détournés, d’allées sombres qui conduisaient, après bien des détours, devant une cour d’écurie avec une grande porte cochère au bout. On entendait de là le bruit, le mouvement d’une grande rue. Mme Brown indiqua la porte à Florence en lui disant qu’à trois heures sonnant, elle pourrait tourner à gauche ; puis après avoir encore, par un mouvement involontaire dont elle ne parut pas maîtresse, porté la main à ses cheveux, elle les tira en signe d’adieu, en lui disant qu’elle savait ce qu’elle avait à faire, qu’elle n’avait plus qu’à s’en aller, mais surtout de bien se rappeler qu’elle serait surveillée de près.

Le cœur plus léger, mais encore toute tremblante, Florence se sentit libre et courut au coin de la rue. Quand elle l’eut atteint, elle se retourna et vit la tête de la bonne Mme Brown qui se penchait pour la regarder, derrière les planches du passage où elle lui avait donné ses dernières instructions ; par la même occasion, elle put voir aussi le poing de la bonne dame qui la menaçait encore. Mais quoique bien souvent elle se retournât ensuite, à chaque minute peut-être, tant elle était poursuivie par le souvenir de la vieille, elle ne revit plus rien de Mme Brown.

Florence restait là, immobile, regardant le mouvement de la rue et sentant la peur la gagner de plus en plus ; elle pensait que les horloges s’étaient donné le mot pour ne plus jamais sonner trois heures. Enfin tous les clochers sonnèrent les trois coups de sa délivrance ; elle ne pouvait se tromper, il y en avait un tout près ; cependant elle parut hésiter ; elle regarda autour d’elle, fit quelques pas, revint en arrière, avança un peu plus loin pour revenir encore, dans la crainte de mécontenter les redoutables espions de Mme Brown ; mais enfin elle s’élança dans la direction indiquée, courant aussi vite que le lui permettaient ses mauvaises savates et serrant de toutes ses forces sa peau de lapin dans sa main.

Tout ce qu’elle savait des bureaux de son père, c’est qu’ils