Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/10

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
DOMBEY ET FILS.


CHAPITRE PREMIER.

Un petit échantillon de l’administration du gérant Carker.


M. Carker, le gérant, est assis à son bureau ; c’est toujours le même homme calme et doucereux ; il est occupé à lire des lettres, dont lui seul a le droit de briser le cachet. De temps en temps, il les annote ou y ajoute des renvois suivant les affaires dont elles traitent ; puis il en fait de petits paquets pour les distribuer dans les bureaux, chacune à sa destination. Ce jour-là, le courrier avait été abondant, et M. Carker avait de la besogne.

À voir cet homme ainsi occupé, à le voir tantôt regarder attentivement une liasse de papiers qu’il tenait à la main, ranger les feuilles autour de lui en petits tas, reprendre une autre liasse, en examiner le contenu en fronçant le sourcil et en pinçant les lèvres ; à le voir classer, trier, méditer tour à tour, on eût pu le prendre aisément pour un joueur de cartes. Ressemblance bizarre à laquelle prêtait singulièrement la mine de M. Carker ! N’était-ce pas l’air réfléchi d’un homme qui étudie son jeu, qui se rend compte du côté fort et du côté faible, qui classe dans sa mémoire chacune des cartes qui passent sous ses yeux, qui connaît exactement leur valeur relative, qui devine le jeu de l’adversaire et ne trahit jamais le sien ?

Quoique les lettres fussent écrites en différentes langues, M. Carker les lisait toutes. S’il n’avait pas été capable de lire tout dans la maison Dombey et fils, c’est qu’il aurait manqué une carte dans le jeu. D’un coup d’œil, il embrassait presque tout, formait des combinaisons, pressentait une affaire, et, à chaque tas, il ajoutait quelque nouvelle combinaison ; on eût dit un homme qui reconnaît les cartes à première vue, et qui, lorsqu’elles sont retournées, calcule dans son esprit tous les