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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/102

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montait, plus il descendait profondément dans ses pensées. Plus l’alouette répandait avec force et clarté ses flots de mélodie, plus Carker tombait dans un silence morne et profond. Enfin, quand l’alouette s’abattit, tête baissée, en faisant jaillir les accords limpides de sa voix sonore dans un champ de blé encore vert, imitant par ses chants, dans le sein de l’aurore, le ruisseau qui bouillonne et murmure, Carker se réveilla en sursaut de sa longue rêverie et regarda soudain avec un doux sourire tout ce qui l’entourait, aimable et poli, comme un homme qui veut se faire bien venir de tous ceux qui l’observent. Une fois réveillé, il se garda bien de retomber dans son assoupissement ; mais, éclaircissant son visage dans la crainte de se trahir, il continua de sourire toujours pour en entretenir l’habitude.

Au premier abord, M. Carker, cette matinée-là, pouvait paraître soigneusement et même coquettement vêtu. Il avait bien, dans sa mise, quelque chose de cérémonieux, à l’exemple du grand personnage qu’il servait ; mais il se tenait toujours en deçà de la roideur de M. Dombey. Il avait probablement pour cela deux raisons : d’abord, il la trouvait ridicule ; ensuite, rester au-dessous de M. Dombey, c’était exprimer le sentiment qu’il avait de la distance qui les séparait. Certaines gens pouvaient bien y voir une malicieuse contrefaçon de son froid protecteur, et non une flatterie ; mais le monde est toujours disposé à mal interpréter les choses, et M. Carker n’était pas responsable de cette fâcheuse disposition.

Propret et fleuri, le teint rosé, un peu endommagé par le soleil, qui ne respecte rien, le pied léger sur le doux gazon, M. Carker allait donc errant dans les prairies, dans les étroits sentiers de verdure. Il s’enfonça au milieu des allées d’arbres, jusqu’à ce que l’heure du déjeuner fût arrivée. Pour revenir, Carker prit un chemin plus court, faisant prendre l’air à ses dents en disant tout haut :

« Allons maintenant voir Mme Dombey, numéro deux. »

Carker avait dirigé ses pas extra muros ; il rentra dans la ville par une jolie promenade très-ombragée, où des bancs disposés de distance en distance invitaient au repos. C’était un endroit qui n’était pas fréquenté en général, et qui, à l’heure où se promenait M. Carker le jour de cette paisible matinée, avait l’air d’être complétement solitaire. Carker s’y trouvait ou croyait s’y trouver seul ; aussi, avec l’insouciance d’un homme qui avait encore à sa disposition vingt minutes