Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/108

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du positif et du réel, car il était impossible d’avoir plus de faux dans toute sa personne. Cependant M. Carker fut de son avis et trouva qu’en effet nous étions blâmables à cet égard.

« Les tableaux du château sont divins, dit Cléopatre. J’espère que vous avez un faible pour les tableaux ?

— Je puis vous assurer, madame Skewton, fit M. Dombey avec un ton solennel de protection à l’adresse de son gérant, je puis vous assurer que Carker est très-bon connaisseur en fait de peinture, et qu’il sait l’apprécier à merveille. Il est lui-même un artiste très-distingué. Il sera charmé, j’en suis sûr, du goût et du talent de Mme Granger.

— Parbleu, monsieur, s’écria le major Bagstock, m’est avis que vous êtes Carker l’incomparable et que vous êtes capable de tout.

— Oh ! fit Carker en souriant avec modestie, comme vous y allez, major Bagstock ! Je suis capable de très-peu de chose. Mais M. Dombey apprécie avec trop de générosité un vulgaire talent qu’un homme tel que moi est dans l’obligation d’acquérir, tandis que lui, dans sa sphère élevée, est tellement au-dessus de tous ces talents-là, que… » M. Carker ne termina pas sa phrase… il fit un léger mouvement d’épaules, en ayant l’air de se dérober à de plus grands éloges.

Pendant tout ce temps-là, Edith ne leva les yeux que pour lancer un regard à sa mère, chaque fois que l’ardeur brûlante de la dame se manifestait par de belles phrases. Mais lorsque Carker eut cessé de parler, elle regarda M. Dombey pendant quelques instants, quelques instants seulement ; sur son visage passa comme un éclair d’étonnement dédaigneux qu’une personne, occupée à sourire à tout le monde, ne laissa pas échapper.

M. Dombey saisit le moment où la noire paupière s’abaissait pour arrêter son regard au passage.

« Par malheur, vous êtes allée souvent à Warwick ? lui dit M. Dombey.

— Plusieurs fois.

— Je crains que notre visite au château ne soit un peu ennuyeuse pour vous.

— Oh ! non, du tout.

— Ah ! vous êtes comme votre cousin Feenix, ma chère Edith, fit Mme Skewton. Il est allé au château de Warwick cinquante fois, ou il n’y est pas allé une seule ; eh bien ! je suis sûre que s’il venait à Leamington demain, et je voudrais