Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/120

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que j’en montrasse un, pour justifier aux yeux de ses amis le marché qu’il faisait, je lui ai demandé celui qu’il désirait voir et je le lui ai montré. Je n’en ferai pas davantage. En m’achetant il sait ce qu’il fait ; il connaît le prix de la marchandise et la puissance de son argent. Je souhaite qu’il ne se repente pas du marché : mais, quant à moi, je n’ai ni vanté, ni paré la marchandise, ni vous non plus, autant du moins que j’ai pu vous empêcher de le faire.

— Vous parlez singulièrement à votre mère ce soir, Edith.

— En effet, je trouve mon langage étrange, plus étrange que vous peut-être, dit Edith. Mais, c’est qu’il y a longtemps que mon éducation est faite. Je suis trop vieille maintenant, je suis tombée trop bas, petit à petit, pour suivre une nouvelle voie, pour m’opposer à vos desseins et pour me sauver moi-même. Le germe de tout ce qui purifie le cœur d’une femme, qui le rend sincère et bon, n’a jamais fermenté dans le mien ; et je ne trouve plus rien en moi pour me défendre de mon propre mépris. » Il y avait eu un moment de tristesse touchante dans la voix de cette femme, mais cela ne dura pas longtemps ; bientôt, pinçant sa lèvre, elle continua en disant : « Comme nous sommes des gens comme il faut et des gens pauvres, je suis charmée de nous enrichir par de tels moyens. Tout ce que je puis dire, c’est que j’ai bien mené à fin le seul dessein que j’eusse la force, j’allais presque dire le pouvoir de former, avec vous à mes côtés, ma mère, mais je n’ai pas amorcé cet homme.

— Cet homme ! Vous en parlez comme si vous le haïssiez, dit la mère.

— Et vous pensiez que je l’aimais, n’est-ce pas ? répondit Edith en s’arrêtant au moment où elle traversait la pièce et en regardant autour d’elle. Vous le dirai-je ? continua-t-elle en regardant fixement sa mère, il y a une personne qui nous connaît déjà à fond, qui lit dans nos cœurs, et en présence de laquelle je me sens plus troublée que lorsque je suis en face de ma propre conscience, tant je me trouve humiliée à l’idée qu’il me connaît !

— Ceci ressemble beaucoup, reprit froidement la mère, à une attaque dirigée contre cet inoffensif et malheureux, comment dirai-je… M. Carker. Heureusement, votre manque de dignité, ma chère, et votre imprudence à l’égard de cette personne (qui est très-agréable, je ne dis pas non) n’auront pas, j’espère, d’influence sur votre établissement. Pourquoi me regardez-vous ainsi ? Est-ce que vous êtes malade ? »