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« Asseyez-vous, Coq-Hardi, » dit M. Toots.

Le docile Coq-Hardi cracha quelques brins de paille dont il était en train de se curer les dents, et en prit de la fraîche qu’il tenait en réserve dans sa main.

« N’y aurait-il pas un verre de quelque chose là sous la main ? dit Coq-Hardi par manière de parler. Voilà une nuit qui n’est pas tendre pour un homme qui ne vit pas de ses rentes. »

Le capitaine Cuttle servit un verre de rhum, que Coq-Hardi se versa dans le gosier comme dans un tonneau, en s’écriant :

« À notre santé ! »

M. Toots et le capitaine, retournant alors dans la salle à manger, s’assirent de nouveau devant le feu, et M. Toots commença en ces termes :

« Monsieur Gills…

— Halte-là ! dit le capitaine, mon nom est Cuttle. »

M. Toots regarda d’un air ébahi le capitaine, qui continua gravement :

« Capitaine Cuttle est mon nom, l’Angleterre est ma patrie, cette maison est ma demeure ; que le saint nom du Seigneur soit béni ! Job ; dit le capitaine, citant son autorité.

— Ah bah ! dit M. Toots, vraiment je ne pourrais pas voir M. Gills ? Pourtant…

— Si vous pouviez voir Solomon Gills, jeune homme, dit le capitaine avec sentiment en lui posant sa lourde main sur le genou, si vous pouviez voir le vieux Sol, entendez-vous bien, de vos propres yeux, assis comme vous êtes là, voyez-vous, vous seriez pour moi plus qu’un vent d’arrière pour un vaisseau en bonasse. Mais vous ne pouvez pas voir Sol Gills. Et pourquoi ne pouvez-vous pas voir Sol Gills ? dit le capitaine, qui voyait à la figure de M. Toots qu’il produisait une impression profonde sur son esprit… parce qu’il est invisible. »

M. Toots, dans son trouble, allait répondre que ça ne faisait rien, mais il s’arrêta en chemin et s’écria :

« Il n’est pas Dieu possible !

— Cet homme, dit le capitaine, m’a chargé dans un écrit de garder sa boutique, et quoiqu’il fût pour moi aussi bon qu’un frère, je ne sais pas plus que vous où il est allé, ni pourquoi il est parti : est-il à la recherche de son neveu, ou a-t-il perdu la tête, je n’en sais rien ; tout ce que je sais, c’est qu’un beau matin il a sauté par-dessus bord et qu’il a fait le plongeon sans le moindre flic-flac, sans le moindre bruit. Je