Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en se promenant dans la chambre lui semblait augmenter de taille et de volume quand il se rapprochait d’elle. Tantôt il lui apparaissait comme dans un nuage, et c’est à peine si elle pouvait le reconnaître. Tantôt elle le voyait bien distinctement et tel qu’il était. Puis elle se croyait le jouet d’un rêve qui durait déjà, depuis bien des années, toujours le même. Elle se sentait attirée vers lui, et reculait à son approche. Émotion contre nature pour une enfant, si pure, si innocente ! Mais combien, plus dénaturée la main qui avait si cruellement labouré son cœur pour y jeter les germes d’une telle émotion !

Florence, ne voulant ni l’affliger ni l’offenser par sa douleur, se contenait et travaillait en silence. Après s’être promené encore quelque temps dans la chambre, il s’arrêta, s’assit sur un fauteuil dans un coin obscur et, ayant couvert sa tête de son mouchoir, il se prépara à dormir.

Florence était heureuse d’être là à le veiller ; de temps en temps elle tournait les yeux de son côté, et quand elle baissait son visage sur sa broderie, son cœur n’en restait pas moins avec lui ; elle éprouvait un mélange de peine et de plaisir à penser qu’il pouvait dormir pendant qu’elle était près de lui, et que la présence de sa fille, depuis si longtemps oubliée, depuis si longtemps étrangère, ne troublait pas du moins son sommeil.

Qu’aurait-elle dit, si elle avait su que son père la regardait fixement ; que ce voile posé sur sa figure laissait, soit par un effet du hasard, soit par calcul, ses yeux à découvert et qu’il ne la perdait pas de vue un instant ! Si elle avait su que ses yeux expressifs, lorsqu’ils se tournaient vers lui dans ce coin obscur, ses yeux plus tendres et plus éloquents, qui l’accusaient plus énergiquement dans leur muet langage que tous les orateurs du monde, avaient rencontré ceux de son père sans qu’elle s’en doutât ! Si elle avait su qu’il respirait plus librement, quand elle baissait sa tête sur son ouvrage, tout en continuant à regarder avec la même attention son front si blanc, ses cheveux retombant en boucles sur ses joues, et ses doigts si agiles, et trouvait un tel charme dans cette contemplation secrète qu’il ne pouvait détacher ses regards de sa fille.

Quelles pouvaient être les pensées de ce père ? Sous l’empire de quelles émotions dirigeait-il secrètement son regard sur sa fille qu’il connaissait si peu ? Lisait-il sur ce visage si calme, dans ces yeux si doux quelque reproche contre sa con-