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Un matin Suzanne Nipper était debout devant sa jeune maîtresse, occupée à plier et à cacheter un billet qu’elle venait d’écrire. Suzanne semblait indiquer du regard qu’elle approuvait le contenu de la lettre.

« Mieux vaut tard que jamais, chère miss, dit Suzanne. Eh bien ! croyez-moi, même une simple visite aux vieux Skettles sera encore un acte de charité.

Monsieur Barnet et madame Skettles, Suzanne, reprit Florence en corrigeant avec bonté ce qu’il y avait de par trop familier dans la phrase de Suzanne, ont eu la bonté de me renouveler leur invitation. Je leur en suis très-reconnaissante. »

Suzanne Nipper, qui était bien la plus fine mouche qu’on pût voir, et qui usait de ce don de la nature pour déclarer la guerre en toute occasion à la société, se pinça les lèvres et secoua la tête. C’était une énergique protestation contre le désintéressement prétendu des Skettles et en même temps une assurance qu’ils seraient grandement récompensés de leur bonté par la société de Florence.

« Ils savent bien ce qu’ils font ou je me trompe fort, dit Suzanne entre ses dents. Je m’en fie bien à eux pour cela !

— Je n’ai pas, je l’avoue, un très-grand désir d’aller à Fulham, dit Florence d’un air pensif. Mais je crois convenable d’y aller.

— Certainement, fit Suzanne en secouant la tête d’un air d’importance.

— J’eusse préféré y aller dans un moment où il n’y aurait eu aucun étranger, dit Florence ; et, pendant les vacances, il y aura sans doute des jeunes gens dans la maison ; mais je veux faire preuve de bonne volonté, et j’ai répondu que j’acceptais avec reconnaissance.

— À quoi je dis, miss Florence, vive la joie ! » et Suzanne Nipper se mit à rire de tout son cœur.

Ce dernier trait qui, depuis quelque temps, terminait souvent les phrases de miss Nipper, était interprété, en bas, à la cuisine comme une censure indirecte de M. Dombey ; on croyait généralement que miss Nipper n’était pas fâchée par là de jeter du ridicule sur les allures monotones de ce personnage taciturne ; mais comme elle ne s’en expliquait jamais, ce rire avait tout le charme du mystère sans nuire à l’expression franche et communicative des élans de gaieté de Suzanne.

« Comme il y a longtemps que nous n’avons reçu de nou-