Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/55

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elle trouva qu’il parlait sans ordre et sans suite ; car, lorsqu’elle lui eut dit qu’elle était déjà venue dans la matinée, l’oncle Sol lui répondit qu’il était allé chez elle pour la voir, et aussitôt après il parut regretter ce qu’il avait dit.

« Vous êtes venu me voir ? dit Florence. Aujourd’hui ?

— Oui, ma chère demoiselle, reprit l’oncle Sol en portant ses regards sur elle et en les détachant d’un air troublé. Je voulais vous voir de mes propres yeux, vous entendre de mes propres oreilles, une fois de plus avant… »

Ici il s’arrêta.

« Avant quand ? avant quoi ? dit Florence en lui posant la main sur le bras.

— Est-ce que j’ai dit avant ? répliqua le vieux Sol. Si je l’ai dit, j’ai sans doute voulu dire avant que nous recevions des nouvelles de mon cher garçon.

— Vous avez quelque chose, dit Florence avec une tendre sollicitude. Vous vous êtes trop tourmenté. Je suis sûre que vous avez quelque chose.

— Je vais aussi bien, répondit le vieillard en étendant ses bras et le lui montrant, je vais aussi bien et je suis aussi solide qu’on peut l’être à mon âge. Voyez si ce bras n’est pas ferme. Avec un bras comme ça, croyez-vous qu’on ne soit pas capable d’autant de résolution et de courage que bien des jeunes gens ? Certainement si ; nous verrons. »

Il y avait dans ses manières plus encore que dans ses paroles, quoique déjà trop significatives, quelque chose d’égaré qui troubla vivement Florence. Elle aurait confié même sur-le-champ ses inquiétudes au capitaine si celui-ci lui eût laissé la parole. Mais au même moment il se mit à expliquer à Bunsby en quoi il avait besoin de ses conseils, et il en appela à cette intelligence profonde pour dissiper tous les doutes. Bunsby, dont l’œil errait toujours à l’horizon, regardant une maison située environ à moitié chemin entre Londres et Gravesend, sortit deux ou trois fois de sa poche son vigoureux bras droit et chercha, pour s’inspirer, à le faire passer autour de la jolie taille de miss Nipper. Celle-ci s’étant reculée fort mécontente jusqu’à l’autre bout de la table, le tendre cœur du capitaine de la Prudente-Clara vit bien qu’il n’était pas payé de retour. Après plusieurs essais dans ce genre, toujours infructueux, l’amiral, sans parler à personne en particulier, laissa échapper ces paroles ; quand je dis l’amiral, j’entends la voix intérieure qui habitait sa poitrine, et qui, de son libre mouve-