« Une bonne place, hein ? Robin. Tu as de la chance, mon garçon ?
— Oh ! ne parlez pas de chance, madame Brown, répondit le malheureux Rémouleur, se retournant pour la regarder en face, et faisant halte un moment. La meilleure chance que je puisse avoir, ce serait de ne vous avoir pas revue ou de ne plus vous revoir. Est-ce que vous ne pourriez pas vous en aller, madame Brown, au lieu de me suivre comme cela ? dit d’une voix tremblante Robin, devenu tout à coup défiant. Si cette jeune femme est de vos amies, elle ferait bien mieux de vous emmener que de vous laisser là perdre votre temps comme vous faites.
— Comment ! croassa la vieille en approchant sa figure contre celle de Robin avec une grimace affreuse, qui fit retomber jusque sur sa gorge les flasques plis de son menton. Oses-tu bien renier ta vieille camarade ? Après être venu te cacher dans ma maison cinquante fois, et y avoir dormi tout ton soûl, au lieu de coucher à la belle étoile, c’est toi qui oses me parler ainsi ! Aurais-je donc fait avec toi tant de petits marchés et de brocantages, méchant gamin, petit serpent, pour que tu viennes me dire de m’en aller ? Moi qui pourrais demain matin mettre à ses trousses une meute de vieilles connaissances qui lui en feraient voir de belles, et il ose me faire ses grands yeux encore ! Eh bien ! oui, j’y vais aller, viens Alice, viens.
— Arrêtez, madame Brown, s’écria le Rémouleur effrayé, que voulez-vous faire ? Ne vous mettez pas en colère… Ne la laissez pas partir, je vous en prie ! Je n’ai pas voulu l’offenser… Je vous ai dit d’abord, madame Brown, comment vous portez-vous ? Est-ce que je ne l’ai pas dit ? Voyons ! mais vous n’avez pas voulu me répondre. Eh bien ! comment vous portez-vous ? Et puis, dit Robin d’un air piteux, est-ce qu’un garçon peut rester à causer dans la rue, quand le cheval de son bourgeois a besoin d’être étrillé, et qu’on a un maître qui ne vous passe rien ? »
La vieille femme fit semblant d’être apaisée, mais elle secoua la tête et marmotta entre ses dents.
« Venez à l’écurie, dit Robin, vous y prendrez un verre de quelque chose qui vous fera du bien, madame Brown. Cela vautra mieux que de flâner là dans la rue, pour vous comme pour les autres. Venez avec elle vous aussi, dites ? Vraiment, je vous assure que j’aurais du plaisir à la voir, si ce n’était pas le cheval. »