d’un monde réel où elle n’avait guère connu que le reflux de cet océan impétueux, Florence atteignit ses dix-sept ans. Sa vie solitaire avait dû la rendre timide et craintive, mais la douceur de son caractère et la franchise de son cœur n’avaient pas changé. C’était encore une enfant dans son innocente simplicité, quoique ce fût déjà une femme dans sa modeste confiance en elle-même et dans l’ardeur de ses sentiments. Dans l’expression de son charmant visage et dans la grâce délicate de ses formes, il y avait de la femme et de l’enfant, et cet heureux mélange avait un charme infini. On eût dit que le printemps ne voulait pas faire place à l’été, et qu’ils luttaient ensemble à qui répandrait son éclat sur la beauté précoce des fleurs. Mais dans sa voix tremblante, dans ses beaux yeux limpides, dans ce je ne sais quoi qui entourait sa tête comme d’une auréole, dans cet air pensif répandu sur ses traits charmants, il y avait quelque chose de son frère. C’était du moins l’avis des domestiques, qui, réunis en conseil dans la cuisine, le disaient tout bas en secouant la tête, avant de se mettre à boire et à manger de plus belle, comme de bons et joyeux camarades.
Ce corps d’observateurs en avait long à dire sur M. Dombey, sur Mme Dombey et sur M. Carker qui paraissait remplir le rôle de médiateur entre les deux époux ; qui allait et venait, comme pour essayer de mettre la paix dans le ménage, sans pouvoir jamais y réussir. Tous déploraient le triste état des choses ; tous étaient d’avis que Mme Pipchin, dont l’impopularité était au comble, y était pour quelque chose ; mais, pour tout dire, on n’était pas fâché d’avoir un sujet de conversation qui pût rallier toutes les opinions, et ce sujet inépuisable était un grand amusement pour ces fidèles serviteurs.
Les personnes qui venaient faire des visites, les personnes chez lesquelles M. et Mme Dombey allaient en faire, trouvaient le couple bien assorti, après tout, sous le rapport du caractère hautain, et tout finissait là.
La jeune vieille aux épaules ne reparut pas de quelque temps après la mort de Mme Skewton : elle dit à quelques amis intimes, avec le petit cri séduisant qui lui était ordinaire, qu’elle ne pouvait penser à cette famille sans avoir dans la tête des idées de sépulcres et d’autres horreurs pareilles ; mais, quand elle revint, elle ne vit rien d’extraordinaire, si ce n’est que M. Dombey portait un véritable trousseau de cachets d’or à sa montre, ce qui la choqua beaucoup, comme étant