Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/141

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théâtre de luttes continuelles, et que, dans ces luttes, elle n’est pas seule en jeu, qu’elle y compromet Mlle Dombey même, car je sais combien sont sérieuses vos paroles, ne consentirez-vous pas, monsieur, à affranchir Mme Dombey de cet état d’irritation continuelle, et du reproche intolérable qu’elle doit se faire de se savoir injuste à chaque instant envers vous ? Ne semble-t-il pas, je ne dis pas que cela soit, mais ne semble-t-il pas que ce soit sacrifier Mme Dombey, pour conserver intacte la grandeur de votre position invincible ? »

L’éclair de ses yeux tomba encore une fois sur Edith : elle regardait fixement son mari, et cette fois on voyait sur ses lèvres un sourire étrange et terrible.

« Carker, répondit M. Dombey en fronçant le sourcil avec arrogance et d’un ton qui devait mettre fin à cette discussion, vous vous méprenez sur votre position en me donnant un avis sur ce point, et vous vous méprenez aussi sur mon compte, je ne puis vous en dissimuler ma surprise, en me donnant un tel avis. Je n’ai rien à ajouter.

— Peut-être, dit M. Carker d’un ton de raillerie indéfinissable, peut-être vous êtes-vous mépris vous-même sur ma position quand vous m’avez honoré de votre confiance pour les négociations auxquelles j’ai été employé, et il fit un geste vers Mme Dombey.

— Point du tout, monsieur, point du tout, reprit M. Dombey avec hauteur, vous avez été employé…

— Oui, en ma qualité de subalterne, j’étais employé à humilier Mme Dombey. Oh ! oui, c’était parfaitement sous-entendu, je l’avais oublié, dit Carker, je vous en demande bien pardon. »

Et s’inclinant devant M. Dombey d’un air respectueux qui s’accordait mal avec ses paroles, bien qu’il les eût prononcées avec humilité, il se tourna vers Edith et tint sur elle son regard attentif.

Oh ! oui ! il eût mieux valu pour elle devenir hideuse à l’instant et tomber morte sur le coup, plutôt que de lui voir un pareil sourire sur la face, dans toute la majesté de sa méprisante beauté. Elle porta la main sur sa tiare où brillaient les précieux joyaux, l’arracha avec une telle violence, que ses beaux cheveux noirs se déroulèrent et retombèrent en désordre sur ses épaules, pendant que les pierres et les perles, sous sa main cruelle, jonchèrent le plancher. Elle arracha de même, de chacun de ses bras, le bracelet de diamants qui les ornait,