Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/159

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— Vous avez l’air abattu, capitaine Gills, fit observer M. Toots.

— C’est que… mon garçon, parut avouer le capitaine, je suis désorienté, j’ai perdu la boussole.

— Puis-je faire quelque chose pour vous, capitaine Gills ? Si je le puis, usez de moi, sans façon. »

Le capitaine retira sa main de sa figure, le regarda avec un mélange de pitié et de tendresse, lui prit la main et la secoua vigoureusement.

« Non, merci, dit le capitaine, vous ne pouvez rien, mon garçon. Tout ce que je vous demanderai, c’est de me laisser tranquille pour le moment. Je crois vraiment, camarade, dit-il en lui serrant encore la main, qu’après Walter, mais dans un autre genre, vous êtes le meilleur garçon du monde.

— Ma parole d’honneur, capitaine Gills, répondit M. Toots en frappant la main du capitaine comme pour se préparer à la secouer à son tour, c’est un grand bonheur pour moi d’avoir votre estime. Je vous remercie.

— Allons ! bellement et bon courage, dit le capitaine en lui frappant sur l’épaule. Bah ! il y a plus d’une jolie fille sur la terre.

— Pas pour moi, répondit Toots gravement, pas pour moi, je vous assure ; l’état de mon cœur à l’égard de miss Dombey est indéfinissable : mon cœur est une île déserte, qu’elle habite seule. Je me mine de jour en jour et j’en suis fier. Si vous voyiez mes mollets quand j’ôte mes bottes, vous auriez l’idée de ce que peut produire un amour sans espoir. On m’a ordonné le quinquina, mais je n’en prends pas, car je n’ai nullement l’envie de me fortifier. J’aime mieux aller plus mal, mais tout ce que je vous dis là est une infraction à notre traité. Adieu, capitaine Gills. »

Le capitaine Cuttle répondit à l’adieu chaleureux de M. Toots, ferma la porte sur lui, et secouant la tête avec la même expression singulière de pitié et de tendresse, empreinte tout à l’heure dans son regard, il monta à l’étage supérieur pour voir si Florence n’avait pas besoin de lui.

Il se fit un changement complet sur la physionomie du capitaine Cuttle pendant qu’il monta. Il essuya ses yeux avec son mouchoir, puis il frotta son nez avec sa manche, comme il l’avait fait déjà le matin, mais ce n’était plus du tout la même figure. Tantôt on pouvait le croire au comble du bonheur, tantôt au contraire il avait l’air des plus affligés, mais la gra-