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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/243

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Elle regardait le feu, comme si elle oubliait un moment qu’elle eût quelqu’un auprès d’elle, et elle continua d’un air rêveur, en serrant plusieurs fois autour de sa main sa longue tresse de cheveux :

« Qu’en résulta-t-il ? il est inutile de le dire. Tout cela ne finit pas, parmi nous, par de mauvais mariages ; il n’en résulte pour nous que la honte et la misère, et la honte et la misère sont tombées sur moi. »

Elle leva tout à coup les yeux ; ils avaient perdu leur expression rêveuse. Elle regarda Henriette et dit :

« Mais je perds là mon temps, et je n’en ai pas à perdre. Et pourtant, si je n’avais pas pensé à tout cela, je ne serais pas ici. La honte et la misère sont tombées sur moi, disais-je ; on me fit servir à des plaisirs éphémères ; on fit de moi un jouet qu’on brisa cruellement après, et qu’on jeta de côté avec dédain. Et par qui pensez-vous que je fus ainsi rebutée ?

— Pourquoi me le demander ? dit Henriette.

— Pourquoi tremblez-vous ? répondit Alice dont l’œil étincelait. C’est lui ! c’est cet homme qui m’a damnée. Je suis tombée, par lui, dans l’abîme de la honte et de la misère. Je fus impliquée dans une affaire de vol… J’en étais complice sans en avoir eu les profits. On me découvrit. Je fus traduite devant le tribunal, sans un ami, sans un sou. Je n’étais encore qu’une enfant ; mais j’aurais mieux aimé mourir que de lui demander un mot, si un mot de lui avait pu me sauver. Oui, j’aurais voulu mourir ! j’aurais affronté tous les supplices. Mais ma mère, toujours avare, lui envoya quelqu’un en mon nom, qui lui raconta toute l’histoire et le pria humblement de me faire un dernier petit présent ; elle ne demandait pas même autant de louis que j’ai de doigts dans cette main. Le croiriez-vous ? Il m’a narguée dans ma misère, au moment où il me voyait abattue à ses pieds ; il ne m’a pas même laissé le dernier souvenir de lui qu’on demandait pour moi, trop heureux de me voir déporter au loin, de songer qu’il serait débarrassé de moi, que je mourrais là-bas et que j’y laisserais mon cadavre. Savez-vous de qui je veux parler ?

— Pourquoi me le demander ? répéta Henriette.

— Et pourquoi tremblez-vous ? dit Alice en posant sa main sur son bras et en la regardant en face. La réponse est sur vos lèvres : c’était votre frère James. »

Henriette tremblait de plus en plus ; mais elle ne détournait pas cependant ses regards de ceux qu’Alice attachait sur elle.