— Et vous, croyez-vous m’effrayer, répondit-elle fièrement, me détourner de mon projet, de la résolution que j’ai prise, en me rappelant la solitude où nous nous trouvons, et l’impossibilité d’un secours ? M’effrayer ! moi, qui suis venue ici seule à dessein ! Si je vous avais craint, n’aurais-je pas pu vous éviter ? Si je vous avais craint, serais-je ici, à cette heure avancée de la nuit, et oserais-je vous jeter à la face ce que je vais vous dire ?
— Que signifie cela, ma belle grondeuse, dit-il, car vous êtes plus belle encore dans votre colère que les autres femmes dans leurs moments les plus aimables ?
— Je ne vous dirai rien, reprit-elle, jusqu’à ce que vous retourniez à votre chaise. Je vous répéterai seulement : Ne m’approchez pas ! Ne faites pas un pas de plus ! Si vous avancez, je vous le dis, aussi vrai que Dieu nous voit, je vous tuerai !
— Me prenez-vous pour votre mari ? » reprit-il en grimaçant un sourire.
Elle dédaigna de lui répondre, et lui montra du doigt le fauteuil. Il se pinça la lèvre, fronça le sourcil, se mit à rire et se décida à s’asseoir avec un mélange de honte, d’indécision et de colère qu’il ne pouvait cacher. Il se mordit les ongles avec rage et la regarda de côté d’un air décontenancé, tout en feignant de rire de ce caprice.
Elle mit le couteau sur la table, et posant sa main sur son sein, elle dit :
« J’ai là quelque chose qui n’est pas un colifichet d’amour, et plutôt que de vous laisser porter encore sur moi la main, je m’en servirais contre vous,… vous me croyez, n’est-ce pas ?… je m’en servirais sans plus de répugnance que pour tuer un reptile. »
Il affecta de rire gaiement et la pria de vouloir bien expédier au plus vite sa petite comédie ; « car le souper refroidit, » lui dit-il. Mais le regard furtif qu’il lui lança avait quelque chose de sombre et de menaçant, et il frappa une fois le plancher du pied en jurant tout bas avec colère.
« Combien de fois, dit Edith, en abaissant sur lui son œil noir, combien de fois votre audacieuse fourberie ne m’a-t-elle pas abreuvée d’insultes et d’outrages ? Combien de fois ne m’avez-vous pas jeté au visage mon union, avec vos manières doucereuses, avec vos paroles malignes et vos regards moqueurs ? Combien de fois avez-vous mis à nu les plaies de mon amour pour cette douce et malheureuse jeune fille, afin