emporté au galop sur cette longue route, toujours enfoncé dans la voiture, triste et abattu, ou se soulevant pour voir la lune apparaître dans un coin de cet horizon sans fin, ou pour regarder derrière lui si on ne le suivait pas ; s’il ne dormait pas, reposant par fois seulement, les yeux à moitié fermés, se réveillant en sursaut et répondant tout haut à une voix imaginaire ; s’il se maudissait d’être là, d’avoir fui, de l’avoir laissée s’échapper, de ne pas avoir affronté la présence du mari, de ne pas avoir bravé sa colère ; s’il se voyait en guerre ouverte avec le monde entier, mais surtout avec lui-même ; s’il reflétait tout le long de la route, sur son passage, la tristesse qu’il avait au cœur, c’était toujours la même vision, vision obstinée, vision fiévreuse du passé, du présent, confondus ensemble dans son cerveau ! Vision de sa vie et de son voyage, pêle-mêle et tout ensemble. Il se sentait poussé quelque part où il lui fallait aller. Les scènes d’autrefois lui apparaissaient au milieu des pays nouveaux qu’il parcourait. Il rappelait, il ruminait des faits depuis longtemps oubliés, et s’il s’occupait par hasard des objets qui passaient sous ses yeux, ce n’était que par un sentiment de crainte horrible qu’ils ne vinssent à le reconnaître, et ils étaient déjà bien loin qu’ils se groupaient encore tout chaud dans sa cervelle bouillante ; vision inexorable de tableaux changeants, au milieu du bruit monotone des grelots, des roues, des sabots des chevaux, sans trêve ni repos ! Vision de villes, de campagne, de relais, de chevaux, de postillons, de collines, de vallées, de jour, de nuit, de route, de pavés, de hauteur, de précipices, de pluie, de soleil, toujours au milieu du même bruit monotone des grelots, des roues, des sabots des chevaux, toujours sans trêve ni repos. Il touchait enfin à son but, il courait à Paris ; la route s’animait déjà, il rasait en passant les vieilles cathédrales ; il traversait à la course les bourgs et les villages plus rares maintenant sur son chemin, toujours enfoncé dans son coin, son manteau sur le nez, quand les gents qui passaient le regardaient.
Il roulait à bride abattue, toujours ajournant ses réflexions, toujours torturé par ses pensées. Incapable de compter les heures depuis son départ, ou de se faire une idée du temps et de la distance pendant son voyage, le front brûlant, la tête en feu, l’esprit perdu, la rage au cœur. Mais c’est égal, il pressait sa marche, en dépit de tout, comme une pierre lancée dans l’abîme, et il arrivait à Paris, où coulaient d’un pas lent et