madère. Voulez-vous la monter ce soir, mon garçon, et la boire à la santé de Walter et de sa femme ? »
L’opticien regarde le capitaine avec attention, met sa main dans la poche de devant de son habit couleur café, prend son portefeuille et en retire une lettre :
« À M. Dombey, » dit le vieillard. « De la part de Walter ». À remettre dans trois semaines.
« Je vais la lire.
« Monsieur, j’ai épousé votre fille. Elle part avec moi pour un voyage lointain.
Si je lui suis dévoué, ce n’est pas une raison peut-être pour avoir des droits à son amitié ou à la vôtre, dans tous les cas Dieu sait que je lui suis sincèrement dévoué.
« Mais, direz-vous, puisque je l’aime plus qu’on ne peut aimer toutes les créatures de la terre, pourquoi l’ai-je associée, sans remords, à mon existence pleine d’incertitude et de dangers ? je ne vous le dirai pas : vous savez pourquoi et vous êtes son père.
« Ne lui faites pas de reproche, elle ne vous en a jamais fait.
« Je ne pense pas, je n’espère pas que vous me pardonniez jamais ; je ne compte pas du tout là-dessus. Mais s’il vient un moment où ce soit pour vous une consolation de savoir que Florence a près d’elle quelqu’un dont l’occupation tout entière sera de lui faire oublier le passé, je vous jure par tout ce qu’il y a de plus sacré au monde que vous pourrez être, à ce moment, sans la moindre inquiétude. »
Solomon remit tranquillement la lettre dans son portefeuille et son portefeuille dans sa poche.
« Nous ne boirons pas encore aujourd’hui la dernière bouteille de madère, Édouard, dit le vieillard d’un air pensif. Non, pas encore.
— Non, pas encore, non, non, pas encore, dit le capitaine avec un signe d’assentiment. »
Suzanne et M. Toots sont du même avis. Après un moment de silence, ils se mettent tous à table et boivent à la santé du jeune mari et de la jeune femme avec un autre vin, mais la dernière bouteille de madère reste tranquille sous sa poussière et ses toiles d’araignées.
Quelques jours se sont écoulés, et un grand navire, en pleine mer, ouvre ses voiles blanches au vent favorable.
Sur le pont est Florence. Pour les plus rudes marins elle est l’image de la grâce, de la beauté, de l’innocence ; c’est pour eux une joie, un bonheur de l’avoir avec eux ; c’est le bon ange qui écartera loin d’eux les tempêtes. Il fait nuit et Florence