moment elle n’en démord pas. Tous les jours elle apporte dans son panier une foule de conserves puisées dans le petit magasin de feu le vénérable propriétaire de la tête à queue et à perruque. Elle apporte aussi, dans des cornets de papier, des morceaux de viandes froides, des langues de mouton, des moitiés de volaille pour son propre dîner. Elle partage son repas avec Polly et passe la plus grande partie de son temps dans cette maison en ruine, que les rats ont quittée. Au moindre bruit, elle se cache et frissonne : elle entre dans la maison et elle en sort comme si elle avait fait une mauvaise action : elle ne veut qu’une chose : se dévouer sincèrement à l’homme ruiné qu’elle admire ; se dévouer à lui, sans qu’il le sache, sans que le monde le sache, à l’exception d’une pauvre et simple femme.
Le major le sait, lui ; mais personne ne s’en doute que le major, qui n’en est pas fâché. Le major, dans un accès de curiosité, a chargé son nègre de guetter la maison pendant quelque temps et de voir ce que devient Dombey. Le nègre lui a raconté la fidélité de miss Tox et le major, à cette nouvelle, s’est tenu les côtes de rire, à s’en étouffer. Depuis ce moment-là, il souffle comme un cachalot, ses yeux de homard lui sortent de la tête.
« Sacrebleu, monsieur, cette femme est idiote de naissance ! »
Et l’homme ruiné, comment passe-t-il son temps ? Seul ?
« Il se le rappellera dans cette même chambre bien des années plus tard. »
Il s’en souvient maintenant. Et ce souvenir lui pèse sur le cœur plus que tout le reste.
« Il se le rappellera dans cette même chambre bien des années plus tard ; la pluie qui tombe sur le toit, le vent qui gémit au dehors lui en apportent peut-être le présage dans leurs sons mélancoliques. Il se le rappellera dans cette même chambre bien des années plus tard. »
Il se l’est rappelé. Il y a pensé au milieu des ténèbres d’une nuit affreuse, à la triste clarté du jour, à la sombre aurore comme au crépuscule du soir, à l’heure des fantômes : il se l’est rappelé. Oui, dans son agonie, dans son chagrin, dans ses remords, dans son désespoir, il a entendu ces mots retentir à ses oreilles. Cher papa, parlez-moi, cher papa. Oui il a encore entendu ces paroles, il a revu cette figure ! Il l’a vue