Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/107

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— Non, je ne me tairai pas, répondit tout haut la piquante Lavvy ; je ne suis pas une enfant pour qu’on dispose de moi sans ma permission.

— Tu es une enfant, au contraire.

— Ce n’est pas vrai ; et je ne veux pas qu’on me traite comme ça : vous prendrez votre sœur… Ah ! vraiment !

— Lavinia, dit la mère, taisez-vous ; je ne permets pas qu’en ma présence vous émettiez cet absurde soupçon que des étrangers, quels qu’ils soient, puissent patronner un de mes enfants. Osez-vous supposer, petite sotte, que mister et mistress Boffin sont venus chez votre père avec des idées de patronage ? Croyez-vous que s’ils avaient eu de ces idées outrageantes ils seraient restés dans cette maison, alors que votre mère eût conservé dans la poitrine assez de force vitale pour exiger leur départ ? Vous me connaissez bien peu, Lavinia, si vous avez supposé qu’il pût en être ainsi.

— Tout cela est très-joli, grogna l’impatiente fille ; mais…

— Taisez-vous ! je ne le souffrirai pas. Ignorez-vous le respect qui est dû à vos hôtes ? Ne comprenez-vous pas qu’en osant insinuer que cette lady et ce gentleman ont pu concevoir la pensée de protéger un membre de votre famille, peu importe lequel, vous les accusez d’une impertinence voisine de la folie ?

— Ne vous fâchez pas à cause de nous, ma’ame, dit Boffin en souriant ; ne faites pas attention, tout ça nous est égal.

— Mais pas à moi, répondit mistress Wilfer.

— Je le crois bien, murmura Lavinia en laissant échapper un rire bref et malicieux.

— Et j’exige de cette audacieuse petite, continua la mère en lançant à Lavvy un regard foudroyant qui resta sans effet, j’exige qu’elle soit juste à l’égard de sa sœur ; qu’elle n’oublie pas que sa sœur Bella est excessivement recherchée, et que toutes les fois que miss Bella accepte une attention, elle envisage cette condescendance comme un honneur au moins égal (tressaillement d’indignation) à celui qu’elle reçoit. »

Ici miss Bella répudia l’intervention maternelle.

«  Je peux me défendre, Ma, dit-elle avec calme, vous le savez bien ; ne parlez pas pour moi, je vous prie.

— À merveille ! dit l’incorrigible cadette, bombardez-vous à travers mon corps. Je voudrais savoir ce qu’en pense George Sampson.

— Mister George, s’empressa de répondre mistress Wilfer en voyant ce gentleman ôter le bouchon de ses lèvres, et en le regardant d’un œil tellement sombre qu’il se reboucha aussitôt, mister George, en sa qualité d’ami de la famille et d’habitué de