Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/115

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Saint-James, Alfred Lammle, esquire de Sackville-street, Piccadilly, et Sophronia, fille unique de feu Horatio Akershem, esquire, du Yorkshire. Comment la jeune et belle fiancée partit de la demeure d’Hamilton Vénéering, esquire, de Stucconia, et fut conduite à l’église par Melvin Twemlow, esquire, de Duke-street, quartier Saint-James, cousin au premier degré de lord Snigsworth de Snigsworthy Park.

Tout en écoutant cette composition épique, Twemlow perçoit vaguement à travers la brume qui l’enveloppe, que si, après cela, le révérend Blank Blank et le révérend Dash Dash ne sont pas sur la liste des plus chers et des plus anciens amis de Vénéering, c’est à eux-mêmes qu’ils devront en savoir gré.

Après cette lecture apparaît Sophronia, que Twemlow a vue deux fois dans sa vie, et qui vient le remercier de vouloir bien remplir à son égard le rôle d’Horatio Akershem, du Yorkshire ; apparaît Alfred, que Twemlow n’a jamais vu qu’une fois ; il vient lui faire les mêmes remerciements, et jette une sorte de lueur pâteuse : comme une bougie qu’on allume en plein jour.

Arrive ensuite mistress Vénéering dans tous ses états aquilins, d’une humeur où s’aperçoivent toutes les verrues de son caractère, pareilles à celles qui décorent son noble nez. Elle est épuisée d’émotions et d’agacements, comme elle le dit à son cher Twemlow, et ravivée malgré elle par le curaçao que lui apporte le chimiste.

Des différents points du royaume commencent à déboucher les demoiselles d’honneur, ainsi que d’adorables recrues enrôlées par un sergent invisible, et qui, débarquées au dépôt Vénéering, font partie d’une légion étrangère.

Twemlow s’esquive et rentre chez lui, Duke-street, quartier Saint-James. Il prend une assiettée de bouillon de mouton, où baigne une côtelette ; puis il ira de nouveau à l’église, afin d’être bien sûr que demain le service nuptial aura lieu à la bonne place. Il est abattu, et se sent triste en mangeant sa côtelette. Il aperçoit nettement dans son cœur l’empreinte qu’y a laissée la plus adorable des adorables ; car, jadis, le pauvre petit gentleman a eu son rêve comme nous tous. Elle n’a pas répondu à sa flamme, ainsi qu’Elle fait souvent ; mais il croit qu’Elle est toujours comme il la voyait alors (ce qu’elle n’a jamais été), et il se dit en lui-même que si elle n’en avait pas épousé un autre par intérêt, et qu’elle se fût mariée avec lui, par amour, ils auraient été bien heureux, ce qui n’est pas vrai du tout. Enfin, il pense que cette âme sensible (dont la dureté est proverbiale) lui conserve un tendre souvenir, et c’est la plus grande erreur. Plongé dans cette rêverie au coin de son triste feu, son petit front sec dans ses petites mains