Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je ne vous l’ai jamais dit. »

La chose était vraie ; Sophronia le savait bien, et se vit contrainte de recourir à cette phrase féminine :

« Je me soucie peu de ce que vous dites ou de ce que vous ne dites pas. »

La promenade continua ; le silence, qui avait duré quelques instants, fut tout à coup rompu par le mari.

« Vous avez, reprit-il, une manière à vous de discuter. Vous me reprochez ce que j’ai voulu dire, et je ne sais pas même à quoi vous faites allusion.

— Ne m’aviez-vous pas laissé entendre que vous aviez de ta fortune ?

— Jamais.

— En ce cas, les apparences m’ont trompée.

— Soit ! mais je peux vous adresser le même reproche. Ne m’avez-vous pas fait entendre que vous étiez riche ?

— Non.

— En ce cas, j’ai été trompé par les apparences.

— Si vous êtes un de ces coureurs de dot assez borné pour ne pas savoir ce qu’il en était, ou assez avide pour craindre d’y regarder, est-ce ma faute, aventurier que vous êtes ? répliqua Sophronia avec aigreur.

— J’ai questionné Vénéering, dit Alfred ; il m’a répondu que vous aviez de la fortune,

— Vénéering ! (du ton le plus méprisant) est-ce que Vénéering me connaît ?

— Je le croyais votre curateur.

— Mon curateur ! je n’en ai qu’un ; celui que vous avez vu le jour où vous m’avez frauduleusement épousée ; et l’objet de sa curatelle est peu de chose : une rente de cent cinquante livres et quelques shellings ou quelques pence, si vous tenez à la somme exacte. »

Alfred lança un regard des moins affectueux sur la compagne de ses joies et de ses douleurs, et grommela une phrase qu’il interrompit brusquement.

« Question pour question, dit-il ; à mon tour, missis Lammle. Qui vous a fait croire que j’étais riche ?

— Vous-même ; n’est-ce pas sous cet aspect que vous vous êtes toujours montré ?

— Mais vous avez consulté quelqu’un ? Voyons, missis Lammle, confidence pour confidence : à qui vous êtes-vous adressée ?

— J’ai demandé à Vénéering.

— Et vous avez cru qu’il en savait plus long sur moi que sur vous ? plus que personne n’en sait sur son compte ? »