Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/124

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Je partage mon discours en trois points — Donnez-moi le bras, Sophronia — en trois points, pour être plus clair et plus précis.

Primo. La chose est assez dure par elle-même sans y joindre la mortification de la voir divulguée. Nous prenons donc l’engagement de la tenir secrète. Vous consentez, n’est-ce pas ?

— Oui, si le fait est possible.

— Il l’est assurément ; nous avons bien su nous en imposer l’un à l’autre ; à nous deux ne pourrons-nous pas en imposer au monde ? Est-ce accordé ?

— Oui.

Secundo. Nous avons à la fois à nous venger des Vénéering, et à souhaiter que les autres se laissent prendre dans leurs filets. Est-ce entendu ?

— Oh ! oui, bien entendu.

— À merveille. J’arrive au troisième point, qui est d’une adoption facile. Vous m’avez traité d’aventurier, Sophronia ; vous avez eu raison. En bon anglais, je ne suis pas autre chose ; vous aussi, vous n’êtes qu’une aventurière, et une foule de gens nous ressemblent. Qu’il soit donc bien entendu que nous garderons notre secret ; et que nous travaillerons de concert à l’exécution de nos desseins.

— Lesquels ?

— Tous ceux qui tendront à nous procurer de l’argent. Nos intérêts sont les mêmes ; j’entends, par nos desseins, tout ce qui pourra les servir. Est-ce convenu, missis Lammle ?

Elle hésita un moment, et finit par donner une réponse affirmative.

— Nous voilà d’accord, et du premier coup, vous le voyez, Sophronia. Je n’ai plus que deux mots à vous dire : nous savons parfaitement qui nous sommes ; n’ayez donc pas la fantaisie de reparler du passé ; la connaissance que j’ai du vôtre est identique à celle que vous avez du mien ; en me faisant des reproches, ce serait vous en faire à vous-même, ce que je ne désire pas, je vous assure. Après l’entente cordiale qui vient de s’établir entre nous, il convient d’oublier tout sujet irritant. Enfin, pour terminer, vous avez montré aujourd’hui un fort mauvais caractère, Sophronia ; que cela ne vous arrive plus, car j’ai moi-même un caractère diabolique. »

C’est ainsi qu’après avoir rédigé et signé ce contrat de mariage, fécond en promesses, l’heureux couple gagna son heureuse demeure.

Si, au moment où le doigt infernal marquait son empreinte sur sa figure pâle et haletante, mister Alfred Lammle, esquire, avait voulu dompter sa chère femme, en la dépouillant tout à