Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/176

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« Sans compter, chéri, laisse-moi te le dire, ajouta missis Boffin, que si tu ne t’arranges pas dès à présent avec monsieur, et si tu continues à vouloir te mêler d’un tas de choses qui n’ont jamais été faites pour toi, pas plus que toi pour elles, tu y gagneras une apoplexie, et que j’en mourrai de chagrin. Sans parler de ton linge qui sera tout mangé de rouille par les taches d’encre. »

Ces paroles pleines de sagesse valurent à missis Boffin un double baiser du chéri. Puis ayant félicité Rokesmith de la façon brillante dont il avait subi cette épreuve, mister Boffin lui tendit la main, comme gage de leurs nouvelles relations. Missis Boffin en fit autant.

« Maintenant, dit l’excellent homme à qui, dans sa loyauté, il ne convenait pas d’avoir un gentleman à son service depuis cinq minutes sans lui accorder une entière confiance, maintenant Rokesmith, il faut que vous soyez au courant de nos petites affaires. Je vous ai dit, quand j’ai fait votre connaissance, ou plutôt quand vous avez fait la mienne, que les goûts de missis Boffin la poussaient vers la fashion, et que je ne savais pas si elle reculerait, ou si j’avancerais. Eh bien ! c’est elle qui l’a emporté ; et nous y voilà par dessus la tête.

— Je l’avais compris, monsieur, en voyant sur quel pied vous montez votre maison.

— Oui, dit Boffin ; ce sera superbe. Voilà comment la chose s’est faite : mon littérateur m’a parlé d’une habitation à laquelle il est pour ainsi dire attaché ; il y a un intérêt.

— Co-propriétaire ? demanda Rokesmith.

— Non ; c’est une sorte de lien de famille.

— Associé ? dit le gentleman.

— Peut-être bien. Dans tous les cas il me dit un jour qu’il y avait un écriteau sur la porte, et qu’on y lisait : « Hôtel éminemment aristocratique. » Bien qu’un peu haut et un peu triste (il est possible que ça fasse partie de la chose), nous avons acheté la maison. Mon littérateur nous a fait l’amitié de composer à ce sujet-là, une charmante poésie dans laquelle il complimente missis Boffin d’entrer en possession de… de… comment est-ce dit ma chère ?

Du gai, du gai théâtre des fêtes resplendissantes,
Et des salles, des salles de lumière éblouissantes.

Justement ; la poésie est d’autant plus belle qu’il y a réellement deux salles dans la maison : une par devant, une par derrière, sans compter celle des domestiques. Mon littérateur nous a encore fait des vers très-jolis au sujet de la peine qu’il est tout dis-