Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/190

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bout d’une allée, un très-petit cottage, ayant une planche en travers de la porte, et derrière cette planche, à laquelle il était accroché par les bras, un marmot de l’âge le plus tendre qui pêchait dans la boue avec un cheval de bois. Rokesmith découvrit immédiatement l’orphelin dans ce jeune sportsman, que distinguaient des cheveux bruns et frisés, retombant sur une figure bouffie.

Tandis que les voyageurs pressaient le pas, l’orphelin, entraîné par l’ardeur de la pêche, passa par dessus la planche et tomba dans la rue. D’une conformation rondelette, il roula comme une boule, et fut dans le ruisseau avant l’arrivée du secrétaire. L’instant d’après, missis Higden apercevait Rokesmith et missis Boffin en possession peu légitime de l’orphelin, qui, tout à l’envers, était pourpre jusqu’aux oreilles. Situation assez gauche, que les cris du marmot rendaient lugubre, et que la planche de la porte, servant de trébuchet à la fois pour missis Boffin et pour la grand’mère, l’une voulant entrer, l’autre voulant sortir, compliqua singulièrement.

Impossible de s’expliquer ; l’orphelin, qui retenait son haleine, était maintenant livide, d’une rigidité effrayante, et d’un silence qui faisait regretter ses hurlements. Toutefois, il se rétablit peu à peu ; missis Boffin déclina son nom, et, ramenant la paix d’un sourire, elle fut introduite chez l’aïeule, ainsi que le secrétaire. Elle se trouva dans une chambre où il y avait une énorme calandre, ayant à sa manivelle un garçon d’une longueur démesurée, avec une petite tête munie d’une grande bouche, qui s’ouvrait largement, comme pour aider les yeux à regarder les visiteurs.

Dans un coin, sous la calandre, étaient assis deux marmots de sexe différent ; et lorsque le grand garçon, après avoir bayé aux nouveaux venus, fit tourner sa machine, il fut effrayant de voir cette catapulte s’élancer vers les deux bébés qu’elle menaçait d’anéantir, et dont elle s’éloigna innocemment dès qu’elle fut à un pouce de leur tête.

La chambre était carrelée, et d’une propreté scrupuleuse. Des vitres éclatantes, un lambrequin au manteau de la cheminée ; à l’extérieur, des ficelles retenues par des clous, et garnissant la fenêtre du haut en bas, devaient soutenir, en été, des haricots à fleur rouge, si les Parques leur étaient propices. Mais en supposant que les dieux eussent toujours été favorables aux haricots de missis Higden, ils l’avaient été fort peu à sa bourse, car on devinait qu’elle était pauvre. C’était une de ces vieilles femmes, qui, en vertu d’une forte constitution et d’une énergie à toute épreuve, font durer le combat longtemps. Chaque année lui avait apporté de nouveaux coups, suscité de nouvelles luttes, et n’avait