Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/198

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— Tout sera prêt pour vous recevoir d’ici à une quinzaine de jours ; et missis Boffin m’a prié de vous dire toute la joie qu’elle en éprouve. »

Bella tourna la tête vers le jeune homme, et d’un air légèrement insolent, les sourcils relevés et les paupières tombantes, elle parut lui dire : Expliquez-moi comment cette commission vous a été donnée ?

«  Je suis secrétaire de mister Boffin, dit Rokesmith ; j’attendais une circonstance qui me permît de vous l’apprendre.

— Je n’en suis pas plus avancée, reprit Bella avec hauteur ; je ne sais pas ce que c’est qu’un secrétaire.

— Oh ! pas du tout ? miss. » Le regard qu’il lui lança à la dérobée montra au jeune homme qu’elle ne s’attendait pas à cette réponse.

— Et vous serez toujours là ? demanda miss Wilfer, comme si elle y voyait un grave ennui.

— Pas toujours, mais très-souvent.

— Seigneur ! soupira-t-elle d’un air contrarié.

— Rassurez-vous, miss Wilfer, ma position sera très-différente de la vôtre ; nous nous verrons fort peu, si même nous nous voyons. Je m’occuperai d’intérêts, vous de plaisirs ; il me faudra gagner mon traitement, vous n’aurez qu’à plaire et à vous amuser.

— À plaire ? reprit-elle en haussant les sourcils, je ne vous comprends pas.

— Lorsque je vous vis pour la première fois dans vos habits de deuil, poursuivit Rokesmith sans répondre à la question qui lui était faite, je ne m’expliquai pas cette distinction entre vous et les autres membres de la famille. J’espère ne pas être indiscret en me permettant cette remarque ?

— Nullement, répondit Bella d’un ton dédaigneux (je leur disais bien que ce deuil ridicule serait remarqué de tout le monde, pensa la jolie miss) ; mais vous devez savoir le motif de cette différence, poursuivit-elle.

— Depuis que je suis chargé des affaires de mister Boffin, dit Rokesmith, j’ai nécessairement trouvé le mot de cette énigme, et j’ose dire, j’en ai du moins la conviction, que la perte que vous avez faite sera réparée en grande partie. Je ne parle naturellement que de la fortune. Quant à la perte d’un étranger, dont je ne saurais estimer la valeur, ni vous non plus, miss, il est douteux qu’elle soit regrettable. Mais mister et missis Boffin sont tellement généreux, tellement bien disposés à votre égard, ils ont un si grand désir… comment dirai-je ? d’expier leur fortune que vous n’aurez qu’à répondre à leurs avances. » Un air de triomphe,