Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/200

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solennité : je n’ai pas fini. J’allais expliquer (évidemment elle n’avait pas autre chose à dire) qu’en me servant du mot charmes je le faisais en lui attachant la signification que je ne songeais nullement à lui donner, en aucune manière et d’une façon quelconque. »

Cette explication lumineuse fut délivrée aux auditeurs avec un air de condescendance, et l’intime persuasion de leur rendre un véritable service ; sur quoi Bella poussa un petit éclat de rire méprisant. — Assez là-dessus, dit-elle ; plus un mot à cet égard. Ayez la bonté, mister Rokesmith, de présenter à mistress Boffin mes amitiés les plus tendres.

— Pardon, reprit mistress Wilfer, dites compliments.

— Mes amitiés les plus tendres, répéta la fille en frappant du pied.

— Mes compliments, reprit la mère d’une voix monotone.

— Je présenterai les amitiés de miss Bella, et les compliments de mistress Wilfer, dit Rokesmith d’une voix conciliante.

— Et surtout dites bien que je serai enchantée d’aller là-bas ; et que le plus tôt sera le meilleur.

— Avant de descendre au parloir, et d’y rejoindre les autres, un dernier mot, Bella, reprit mistress Wilfer. Quand vous demeurerez chez lady Boffin, où vous serez avec elle sur un pied d’égalité, j’espère, Bella, que vous sentirez qu’il sera gracieux de vous rappeler que le secrétaire de la maison a droit à votre bienveillance, comme locataire de votre famille. » L’air de supériorité qui présida à cette déclaration de patronage, n’eut d’égale que la promptitude avec laquelle le gentleman avait baissé dans l’esprit de la chère femme en devenant secrétaire.

Rokesmith sourit en voyant la mère se diriger vers le parloir ; mais son sourire s’effaça lorsqu’il vit la fille prendre la même direction. « Si insolente ! si frivole ! si capricieuse ! si insensible ! dit-il avec amertume. Et cependant si jolie ! si jolie ! ajouta-t-il en montant l’escalier. Ah ! si elle savait !… » et Rokesmith ferma sa porte.

Ce qu’elle sait pour le quart d’heure, c’est qu’il ébranle la maison en arpentant sa chambre de long en large ; et que c’est l’un des fléaux de la pauvreté de ne pas pouvoir se débarrasser d’un secrétaire qui marche, marche, marche dans l’ombre, au-dessus de votre tête, ainsi qu’une âme en peine.