Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/205

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férence dont leur demande aura été l’objet ; et ils ne seront plus que de froids cadavres.

Il y a les cavaliers tout prêts à suivre la route qui mène à la fortune. Ils ont chaussé l’éperon, le but est devant eux, le chemin facile, la monture impatiente ; mais au dernier moment l’absence d’un objet particulier, d’une montre, d’un violon, d’un télescope, d’une machine électrique, les met à pied pour toujours ; à moins que Nicodème Boffin, Esquire, ne leur en adresse l’équivalent en numéraire.

Il y a les mendiants qui jettent le filet au hasard sans dire ce qu’ils poursuivent. Généralement l’écriture est féminine, et la réponse doit être envoyée poste restante aux initiales indiquées. Une personne, qui ne peut pas se faire connaître à Nicodème Boffin, Esquire ; mais qui l’étonnerait bien si elle lui révélait son nom, osera-t-elle solliciter l’avance immédiate d’une somme de deux cents livres auprès d’un gentleman, à qui des richesses inattendues permettent d’exercer le plus beau des privilèges qui soient accordés à l’homme ?

C’est dans ce marais hideux qu’est située la nouvelle maison ; dans ce marais, qu’enfoncé jusqu’à la poitrine, le secrétaire se débat tous les jours. Sans parler des inventeurs dont les inventions n’aboutissent pas. Sans compter les tripotiers qui tripotent dans tous les tripotages qui se tripotent, bien qu’on puisse regarder ces gens-là comme les alligators de cet odieux marais, et qu’ils soient toujours à l’affût pour attirer le boueur doré dans la fange où ils vivent, afin de l’y dépecer à l’aise.

Et l’ancienne maison ? Est-il sûr que l’on n’y conspire pas contre l’or de Nicodème Esquire ? N’y a-t-il, dans les eaux du Bower, aucun membre de la famille des requins ? Peut-être que non. Toujours est-il que Silas Wegg y est installé, et qu’à en juger par ses manœuvres secrètes, il paraît caresser l’espoir d’y faire une découverte. Lorsqu’un homme à jambe de bois se met à plat ventre pour regarder sous les lits, ou gravit des échelles, en sautillant comme un échassier de race éteinte, pour inspecter le dessus des buffets et des armoires ; lorsqu’une barre de fer à la main, il est toujours à fourgonner dans les tas d’ordures, c’est que probablement il espère y trouver quelque chose.