Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/207

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génait le meunier, dont la cinquantaine n’avait rien à répondre. Touchante enfant qui partageait sa soupe avec les petits oiseaux, refusait un chapeau nankin, sous prétexte que les navets n’en portent pas, et que les moutons, qui mangent les navets, n’en portent pas non plus ; enfant laborieuse qui tressait des chapeaux de paille, et débitait d’effroyables sermons à tout venant et hors de tout propos.

De jeunes dragueurs, peu faciles à conduire, des alouettes de boue[1], âpres à la curée, étaient nourris de l’histoire du jeune Thomas, lequel ayant bien voulu ne pas prendre à son bienfaiteur une somme de dix-huit pence, dans les circonstances les plus odieuses, fut bientôt, par un fait surnaturel, en possession de trois schellings six pence, et mena désormais une vie d’une prospérité exemplaire. Notez que le bienfaiteur ne reçut aucune aubaine. Divers criminels, fiers d’eux-mêmes, ayant écrit leurs mémoires dans le même ton, ces biographies édifiantes se trouvaient entre les mains des élèves, et les susdites alouettes y apprenaient que l’on doit faire le bien, non parce qu’il est bien de le faire, mais parce qu’on peut en tirer profit.

Les adultes, il est vrai, apprenaient à lire dans le Nouveau-Testament, et à force de trébucher de syllabe en syllabe, et de fixer leurs yeux éblouis sur les mots particuliers qui leur revenaient tour à tour, n’ignoraient pas moins la sublime histoire que si jamais elle n’avait existé.

Bref, c’était une école étourdissante, confusionnante, abrutissante, où les esprits de toutes couleurs, noirs et blancs, gris et rouges, s’embrouillaient, s’embrouillaient, s’embrouillaient, s’embrouillaient tous les soirs, et le dimanche s’embrouillaient un peu plus ; car ce soir là, un amphithéâtre d’infortunés marmots était livré aux bonnes intentions des instituteurs les plus déplorables ; instituteurs que personne n’aurait supportés, et qui, placés devant l’amphithéâtre en qualité d’exécuteurs en chef, étaient secondés par un aide volontaire. Il importe peu de savoir à quel endroit, et à quelle époque, il fut imaginé qu’une main violente devait frictionner du haut en bas le visage d’un élève fatigué ou distrait, ni quand et comment l’aide volontaire fut chargé de cette correction et s’enflamma d’un beau zèle pour ce touchant système.

  1. Mud-larks, enfants, jeunes filles, quelques hommes, et souvent de vieilles femmes qui s’abattent sur le bord de la Tamise, à la marée basse et qui piétinent la vase, y cherchant du bois, du charbon, des clous, enfin tout ce qui a pu tomber des embarcations voisines, tout ce que le fleuve a pu y déposer.
    (Note du Traducteur.)