Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/224

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— C’est là ce que je voulais dire, monsieur.

— Oui, répliqua Bradley ; mais vous n’êtes que son frère, dans la supposition précédente le cas est bien plus grave. Ce serait un lien volontairement contracté ; de plus il faudrait le faire connaître ; tandis que rien ne vous y oblige. Ce n’est pas de votre faute ; vous ne vous pouvez pas empêcher qu’elle ne soit votre sœur ; au lieu que le mari n’était pas forcé de la prendre.

— Tout cela est vrai, monsieur. Depuis la mort de mon père, qui lui a rendu sa liberté, je me suis dit plusieurs fois qu’une femme comme elle acquerrait facilement les connaissances indispensables pour être au niveau des autres. Croyez-vous que miss Peecher…

— Non : ne vous adressez pas à miss Peecher, interrompit Bradley du ton décisif que nous lui avons déjà vu prendre à l’occasion de miss Hexam.

— Seriez-vous assez bon pour y songer, monsieur ?

— Oui, Charles ; j’y penserai sérieusement, soyez-en sûr. »

Le maître et l’élève gardèrent ensuite le silence jusqu’à la porte de l’institution. Il y avait de la lumière à l’une des petites fenêtres du pensionnat de jeunes filles. Dans le coin de cette fenêtre, Mary-Anne se tenait aux aguets, pendant que miss Peecher, assise auprès de la table, piquait le joli petit corsage qu’elle venait de se tailler sur un patron de papier brun.

(N. B. Miss Peecher et ses élèves étaient peu encouragées par le gouvernement dans l’art non-scolastique de la couture.)

Le visage tourné vers la fenêtre, l’élève favorite leva la main.

« Qu’est-ce que c’est, Mary-Anne ?

— C’est mister Headstone qui revient de la promenade. »

Nouveau signe une minute après.

« Qu’est-ce que c’est, Mary-Anne ?

— Il est rentré, madame, et a fermé la porte. »

Miss Peecher étouffa un soupir ; et pliant son corsage, afin d’aller se coucher, elle en transperça d’une aiguille acérée à l’endroit où aurait été son cœur si elle l’avait eu sur elle.


II

TOUJOURS PÉDAGOGIQUE


La petite habilleuse de poupées, fabricante de pelotes et d’essuie-plumes, restée dans son vieux fauteuil, chanta dans l’ombre