Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/240

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Lady Tippins est chez elle, dans un demi-jour voisin de l’obscurité, et le dos tourné vers la fenêtre comme la figure au corset, mais par un motif bien différent. L’aimable femme est très-surprise de voir sa chère missis Vénéering à pareille heure, « en pleine nuit ! » dit la charmante créature, tellement surprise que l’émotion qu’elle en éprouve lui a presque relevé les paupières. La visiteuse, non moins émue, lui apprend d’une manière incohérente que Vide-Pocket est offert à son mari. C’est le moment de se rallier. Il faut agir, a dit Vénéering. Voilà pourquoi elle est ici, femme dévouée, suppliant, comme épouse et comme mère, sa chère lady Tippins d’agir. Sa voiture est à la disposition de cette chère lady. Quant à elle, propriétaire de cet équipage tout neuf, elle rentrera chez elle à pied ; elle marchera, s’il le faut, avec des pieds sanglants. Elle agira (sans dire de quelle manière) jusqu’au moment où, n’ayant plus de force, elle tombera de lassitude auprès du berceau de bébé.

« Mon amour, dit lady Tippins, calmez-vous ; nous l’y ferons entrer ; nous allons agir. »

Et non-seulement Lady Tippins agit ; mais elle fait agir ici deux chevaux de Vénéering. Elle brûle le pavé jusqu’au soir, frappe chez toutes ses connaissances, déploie tout le charme de son esprit, et joue de son éventail vert avec un immense succès.

« Très-cher, qu’allez-vous dire ? Que supposez-vous que je sois maintenant ? Jamais vous ne le devinerez. Je m’occupe d’élections ; oui, cher ami, agent électoral. Pour quel endroit me direz-vous ? pour Vide-Pocket. Et d’où vient que je m’en mêle ? Parce que celui qui a acheté ce bourg des bourgs est le plus cher ami que j’aie au monde. Et quel est cet ami si cher ? Un appelé Vénéering. Sans compter que sa femme est une de mes chères amies. Ah ! positivement : j’oubliais leur bébé, un autre ami des plus chers ! Et nous sommes en train d’agir : une petite farce que nous jouons pour sauver les apparences. N’est-ce pas très-amusant ? Le piquant de l’affaire c’est que personne ne connaît ces Vénéering, et qu’ils ne connaissent personne. Ils ont une maison comme dans les contes de fée, et ils donnent des repas des Mille et une Nuits. Très-curieux à voir, mon cher. Voulez-vous les connaître ? Venez dîner chez eux ; ils ne vous gêneront pas. Qui voulez-vous trouver-là ? Organisons un petit cercle, nous ferons bande à part ; et je m’engage à ce qu’ils nous laissent tranquilles. Il faut absolument que vous voyiez leur argenterie : des chameaux de vermeil ; une véritable caravane. Allons ! venez chez mes Vénéering ; ils sont à moi ; c’est ma propriété. Et vous votez pour nous ; c’est entendu : mieux que cela, vous me promettez d’agir ; toute votre in-