Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/249

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— J’arrive à l’instant, chère âme.

— Alors je peux continuer ; deux minutes plus tôt, et vous entendiez ma Georgiana chanter vos louanges.

— Si on peut nommer cela des louanges, dit la jeune personne tout émue ; seulement, parce que vous êtes si dévoué à mon amie.

— Sophronia, cher trésor ! dit Alfred en lui baisant la main, ce qu’elle reconnaît en lui baisant sa chaîne de montre. Mais ce n’est pas moi, qu’on veut faire écraser, j’espère ? continue Alfred en prenant une chaise et en s’asseyant entre les deux amies.

— Demandez à Georgiana, chère âme, lui dit sa femme.

— Oh ! ce n’était personne, répond miss Podsnap.

— S’il faut tout vous dire, car vous voulez tout savoir, curieux adoré que vous êtes, reprend l’heureuse épouse, il s’agissait de l’inconnu qui osera prétendre au cœur de Georgiana.

— Vous ne parlez pas sérieusement ? dit Alfred d’un air grave.

— En disant cela, cher amour, je ne suppose pas que Georgiana fût sérieuse ; mais je vous rapporte ses paroles.

— Singulière chose que ce jeu du hasard ! Vous ne le croirez jamais : je venais ici pour parler d’un aspirant à la main de Georgiana.

— Je suis toujours prête à vous croire, mon Alfred.

— Moi, également, chère âme. »

(Que ces échanges sont délicieux ! et quels regards les accompagnent !)

« Je vous en donne ma parole, Sophronia.

— Nous savons ce qu’elle vaut, dit-elle.

— Mieux que personne. Eh ! bien, chère âme, je ne suis entré dans ce boudoir que pour y prononcer le nom du jeune Fledgeby. Parlez de ce jeune homme à Georgiana, très-chère.

— Je ne veux pas, » s’écrie miss Podsnap, en se bouchant les oreilles.

Sophronia éclate de rire ; elle prend les mains de sa jeune amie qui les lui abandonne ; et, tantôt déployant les bras, tantôt les rapprochant, elle prend la parole en ces termes : « Sachez donc, petite oisonne adorée, qu’il y avait une fois un personnage qui s’appelait Fledgeby. Il était jeune et riche, d’une excellente famille. Il connaissait deux autres personnages, unis d’un amour tendre, et qu’on appelait Alfred et Sophronia. Or, ce jeune Fledgeby, se trouvant un soir au théâtre, aperçut avec mister et mistress Lammle une certaine héroïne du nom de…

— Pas miss Podsnap ; je vous en prie, s’écrie l’héroïne presque en larmes.

— Et cependant, continue Sophronia avec un rire folâtre et