Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/267

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allons, mister Riah ; nous connaissons les ruses de votre peuple ; (mon peuple) ! Si l’argent doit être prêté, donnez-le ; s’il ne doit pas l’être, gardez-le ; mais soyez franc.

— Parfait, tout cela, parfait ! s’écrie Fascination.

— Nous savons bien, disent-ils, nous savons bien ; il suffit de vous regarder pour savoir à quoi s’en tenir. »

En effet, pense Fledgeby en le regardant, vous avez le physique de l’emploi ; tout ce qui convient ; je suis un habile homme de l’avoir découvert. Je n’ai pas l’esprit vif ; mais je l’ai sûr. » Pas un de ces mots n’échappe à Fledgeby ; il craindrait, en laissant voir le prix qu’il attache à son juif, que celui-ci ne pensât à faire augmenter ses gages ; ce qui serait doublement fâcheux. En examinant le vieillard, qui a la tête et les yeux baissés, il a compris qu’il n’y fallait rien changer ; que rogner d’un pouce ses cheveux blancs, son bâton, son chapeau, sa houppelande, que rendre son front moins chauve, ses habits moins râpés, serait diminuer de plusieurs centaines de livres les bénéfices qu’il procure. « Pensez-y, Riah, dit-il enfin, attendri par cette considération, je veux encore acheter de ces créances ; occupez-vous en.

— Ce sera fait, monsieur.

— En jetant les yeux sur les comptes, je vois que cette branche de commerce est assez productive. Je désire qu’elle se fasse sur une plus grande échelle. D’ailleurs, j’aime à connaître les affaires des autres ; soyez donc à l’affût.

— J’y serai, monsieur.

— Faites savoir dans les bons endroits que vous achèterez ce genre de papiers en masse ; par livres s’il le faut, en supposant que l’examen du paquet vous fasse flairer une bonne affaire. Encore un mot : n’oubliez pas de m’apporter les livres pour l’inspection périodique, mardi matin vers les huit heures. »

Riah tire de sa poitrine un vieux portefeuille, et prend note de cet ordre.

« Plus rien à vous dire, ajoute Fledgeby en se levant ; si ce n’est que je vous recommande de prendre l’air dans un endroit où vous entendrez la sonnette. À propos, comment se fait-il que vous preniez l’air sur la maison ? Grimpez-vous dans une cheminée, placez-vous votre tête dans le pot qui la surmonte ?

— Il y a, monsieur, un endroit qui est couvert en plomb ; et j’y ai fait un petit jardin.

— Pour y enterrer votre argent, vieux drôle ?

— Un carré grand comme l’ongle, dit Riah, suffirait pour cacher mon trésor. Douze shillings par semaine trouvent bien à s’enterrer d’eux-mêmes.