Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/277

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— Et je suis bien aise de vous parler en présence de mister Lightwood, continua Charley, puisque c’est par lui que vous avez connu ma sœur. »

Eugène détourna un moment les yeux du maître de pension pour voir l’effet que ces paroles avaient produit sur Mortimer. En les entendant, celui-ci, qui était debout de l’autre côté de la cheminée, avait baissé la tête, et il regardait le feu.

« C’est encore mister Lightwood qui a fait que vous l’avez revue, poursuivit Charley, car vous étiez avec lui quand on a retrouvé mon père ; si bien que le lendemain, lorsque je suis arrivé, vous étiez près d’elle. Depuis cette époque vous l’avez vue souvent, très-souvent, et je veux savoir pourquoi.

— Cela valait-il la peine que vous avez prise, Maître de pension ? demanda Eugène d’un air complètement désintéressé. Vous le savez mieux que moi ; mais il me semble que c’est beaucoup de dérangement pour rien.

— Je ne sais pas pourquoi, mister Wrayburn, répondit Bradley avec une fureur croissante, vous vous adressez à moi plutôt…

— Soyez tranquille, Maître de pension, je ne vous parlerai plus, » dit Eugène.

Il proféra ces mots avec une placidité si provocante, que la respectable main droite, saisissant le respectable cordon qui tenait la respectable montre, l’en aurait volontiers étranglé. À partir de ce moment Eugène garda le silence, et toujours debout au coin de la cheminée, la tête sur la main et le cigare à la bouche, il continua de fumer en regardant mister Bradley, qui, les doigts crispés autour du cordon de sa montre, se sentait devenir fou.

« Mister Wrayburn, reprit Charley, non-seulement vous allez voir ma sœur, mais nous savons encore autre chose. Ce n’est pas elle qui nous l’a dit, elle ignore même que nous l’avons découvert ; mais ce n’en est pas moins vrai. Nous avions pris des mesures pour la faire instruire ; son éducation devait être dirigée par mister Headstone, dont l’autorité est plus compétente que la vôtre. Vous aurez beau penser ce que vous voudrez en fumant votre cigare, il est plus fort que vous là-dessus. Et qu’est-ce qui arrive ? Vous ne le savez pas, mister Lightwood ? Nous découvrons que ma sœur prend des leçons en cachette de nous ; que ma sœur, qui fait la sourde oreille aux plans que nous imaginons pour son bien, moi, son frère, et mister Headstone, l’autorité la plus compétente, comme le prouvent tous ses diplômes, nous trouvons que ma sœur accepte les propositions d’un autre, et qu’elle fait tout ce qu’elle peut pour apprendre, car il faut se donner du mal, je le sais bien, moi, et mon maître aussi. Mais