Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/280

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l’examinait avec attention, et paraissait trouver qu’il devenait amusant.

Il y eut une pause. « Eh ! bien, Maître de pension, reprit Eugène avec un soupçon d’impatience, tandis que Bradley cherchait à surmonter sa colère, dites ce que vous avez à dire ; et laissez-moi vous rappeler que votre élève vous attend.

— En accompagnant le jeune Hexam, répondit Bradley avec effort, j’ai eu l’intention, dans le cas où vous le traiteriez légèrement, d’ajouter, en ma qualité d’homme qui saurait se faire entendre, que le sentiment qui a dicté ses paroles est juste et digne.

— Est-ce tout ? demanda Eugène.

— Non, monsieur, répliqua l’autre avec colère. Il fait bien de ne pas souffrir que vous alliez voir sa sœur, et de blâmer énergiquement les services, ou pis encore, que vous vous permettez de rendre à miss Hexam.

— Est-ce tout ? demanda Eugène.

— Non, monsieur. J’ai à vous dire que rien ne justifie vos procédés, et qu’ils sont injurieux pour miss Hexam.

— Êtes-vous son maître de pension, en même temps que celui de son frère, ou cherchez-vous à l’avoir pour élève ? »

Ce coup de poignard fit jaillir le sang au visage de Bradley, qui ne put que balbutier avec effort. « Qu’entendez-vous par là, monsieur ?

— Une ambition très-naturelle, dit froidement Eugène. Miss Hexam, dont vous parlez un peu trop, est si différente du milieu où elle a toujours vécu, et des gens obscurs et grossiers qui l’entourent, que votre désir n’a rien de surprenant.

— Prétendez-vous me jeter à la face l’obscurité d’où je suis sorti, mister Wrayburn ?

— Ne sachant rien à cet égard, et ne désirant pas en savoir davantage, l’intention que vous m’attribuez n’est guère probable.

— Vous faites allusion à ma naissance, monsieur ; vous me reprochez mon origine ; mais j’ai su me frayer un chemin en dépit de l’une et de l’autre ; j’ai donc le droit d’être plus fier que vous, et de me trouver plus de valeur.

— Comment vous reprocher ce que j’ignore, vous jeter des pierres que je n’ai pas dans la main ? Ce problème est digne d’intéresser un maître de pension. Est-ce tout ?

— Non, monsieur. Si vous croyez que ce jeune homme…

— Qui doit s’ennuyer d’attendre, dit poliment Eugène.

— Si vous croyez qu’il est sans appui, vous avez tort, mister Wrayburn. Je suis le protecteur et l’ami de Charles Hexam ; et vous ne tarderez pas à l’apprendre.