Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/285

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mister Vénus, reprend Silas en hochant la tête. Pouviez-vous acheter des os ?

— Légalement parlant ? demande Vénus.

— Oui, répond Silas.

— En matière de droit, je ne suis pas compétent, réplique l’anatomiste, qui rougit et dont la voix s’élève ; mais je peux juger du fait, et, comme tel, j’aurais dû… faut-il continuer, monsieur.

— À votre place, j’en resterais là, dit Wegg d’un ton conciliant.

— J’aurais dû exiger le prix de cet objet avant de m’en dessaisir. Je ne sais pas ce que dit la loi, mais je suis certain du fait. »

Comme Vénus est irritable, sans doute en raison de ses chagrins, et qu’il n’entre pas dans les vues de Silas de l’aigrir, celui-ci ajoute avec douceur : « Je ne disais cela que par manière de parler ; une simple question, une harpothèse.

— Veuillez plutôt, répond Vénus, en faire une acquithèse ; je vous avoue franchement que je n’aime pas vos manières de parler. »

Passant alors du froid pénétrant de la cour dans la salle de mister Wegg, où brillent un bon feu et la clarté du gaz, mister Vénus s’adoucit et fait compliment à son hôte de la maison qu’il occupe.

« Je vous l’ai toujours dit, poursuit-il, si vous avez le pied au Bower, vous êtes dans une belle passe.

— Je ne me plains pas, répond l’autre avec un soupir ; mais, vous le savez, il n’y a pas d’or sans alliage. Approchez-vous du feu, assoyez-vous, et faites-vous un grog. Voulez-vous jouer un petit air de pipe ?

— Je n’y suis pas très-fort, réplique Vénus ; mais je vous accompagnerai d’une ou deux bouffées de temps à autre. »

Mister Vénus mêle un peu de rhum à son eau chaude ; mister Wegg en fait autant. Vénus allume et jette une ou deux bouffées ; mister Wegg allume et la fumée tourbillonne.

« Vous disiez, reprend Vénus, que votre or n’était pas sans alliage ?

— Profond mystère ! retourne Wegg. Il m’est pénible de songer que les anciens habitants de cette demeure ont péri de mort violente ; et qu’on ignore qui les a fait disparaître.

— Auriez-vous quelque soupçon, mister Wegg ?

— Non ; je sais qui a profité du crime ; voilà tout. »

Ayant dit ces paroles, Silas Wegg reprend sa pipe, et regarde le feu. Son visage exprime la ferme résolution de ne pas man-