Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/320

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confondue et le bon goût révolté. Une influence particulière dont ses jambes étaient le siége, avait déjà relevé son pantalon au-dessus des chevilles, et lui avait fait deux poches au niveau des genoux. La même puissance ayant agi dans les bras, les manches se retroussaient de manière à découvrir les poignets, et ce qui manquait à la partie inférieure avait été s’accumuler au coude. C’est ainsi qu’avec l’ornement additionnel d’une petite queue à sa veste, et un gouffre béant à la ceinture, Salop fut présenté au conseil.

« Comment va Betty, mon brave garçon, demanda missis Boffin.

— Merci, m’ame, répondit Salop ; elle ne va pas mal ; elle m’envoie à cette fin de vous présenter ses respects et de vous faire des remerciements pour le thé, et pour toutes les faveurs qu’elle vous doit ; et par le désir de savoir comment vous allez tous.

— Vous ne faites que d’arriver, Salop ?

— Oui, m’ame, tout juste.

— Alors vous n’avez pas dîné ?

— Non, m’ame ; mais j’y pense bien ; je n’ai pas oublié vos ordres généreux pour qu’on ne me laisse jamais partir sans m’avoir donné un repas de viande, de bière, et de poudding. Attendez donc, c’est pas tout ; il y avait quatre choses, je les ai comptées à mesure ; de la viande, ça fait un ; de la bière, ça fait deux ; du poudding ça fait trois ; et des légumes ça fait bien quatre. » Salop renversa la tête, ouvrit une large bouche, et se mit à rire avec bonheur.

« Comment vont les minders ? demanda missis Boffin.

— Ils se remettent tout à fait, m’ame ; c’est un plaisir de les voir. »

Missis Boffin regarda les membres du Conseil, et appela Salop en lui faisant signe d’approcher. « Seriez-vous content de dîner ici tous les jours ? lui demanda-t-elle.

— Les quatre choses tous les jours ? de la viande, de la bière… Oh ! ma’ame ! » L’émotion fut tellement forte qu’il en écrasa son chapeau entre ses mains, et releva le pied droit en arrière.

« Oui, Salop, tous les jours ; et si vous le méritiez comme je le suppose, on prendrait soin de vous de toutes les façons.

— Oh ! ma’ame… » Il s’arrêta brusquement au milieu de son extase, et recula en hochant la tête d’un air sérieux. « Non, dit-il, non ; je ne peux pas ; il y a missis Higden ; elle passe avant tout. Personne ne pourra jamais être pour moi meilleure qu’elle n’a été ; voilà qui est sûr. Il faut tourner la manivelle. Qu’est-ce que deviendrait missis Higden si la calandre ne marchait pas ? »

À la seule pensée de voir sa bienfaitrice dans une pareille détresse, Salop devint pâle et manifesta la plus vive douleur.