Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/328

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ment à cœur, qu’il en a fait des remontrances, — oui, j’étais présent, — des remontrances à mister Eugène Wrayburn ; n’est-ce pas ainsi qu’on l’appelle ? Et cela sans succès ; on le suppose, du moins, quand on ne s’aveugle pas sur le caractère de ce gentleman. »

Il la regarda cette fois avec plus de hardiesse ; son visage en feu passa du rouge au blanc, redevint pourpre, et changeant encore, resta d’une pâleur mortelle.

« Enfin j’ai résolu de venir seul, de vous voir, d’en appeler à vous-même ; de vous supplier de quitter la voie que vous avez prise. Au lieu de vous confier à un étranger, miss Hexam, à un être qui s’est conduit de la façon la plus insolente à l’égard de votre frère, préférez-lui le seul parent qui vous reste, et l’ami de ce parent. »

Lizzie, à son tour, avait changé plusieurs fois de couleur ; son visage exprimait une certaine colère, une assez forte aversion, et même une légère nuance de crainte ; néanmoins ce fut avec beaucoup de fermeté qu’elle fit la réponse suivante : « Je suis convaincue, dit-elle, que c’est un motif honorable qui vous amène ; vous avez toujours été si généreux pour mon frère que je n’ai pas le droit de douter de vos intentions. Mais je n’ai qu’une chose à répondre à Charley : j’ignorais qu’il s’occupât de moi lorsque j’ai accepté les offres qui paraissent lui déplaire. Celles-ci ont été faites avec une extrême délicatesse, et appuyées de raisons auxquelles, personnellement, il ne doit pas être moins sensible que moi-même. C’est là, monsieur, tout ce que j’ai à dire à mon frère. »

Le maître de pension resta bouche béante ; et ses lèvres tremblèrent en entendant cette réponse, dont elle avait soin de l’exclure.

« J’aurais dit à Charley, s’il était venu, reprit-elle après un instant de silence, que la personne qui nous donne des leçons, car Jenny les prend avec moi, est très-douce, très-patiente, et fait tous ses efforts pour nous instruire ; si bien que nous espérons n’avoir plus besoin d’elle avant peu ; nous en saurons assez pour étudier toutes seules. Charley doit connaître beaucoup d’institutrices ; et s’il était venu, je lui aurais dit pour sa satisfaction que la nôtre sort d’un établissement où l’on est parfaitement élevée.

— Je voudrais savoir, répondit Bradley en broyant lentement ses paroles comme s’il avait eu à les faire sortir d’un moulin rouillé, je voudrais savoir (j’espère que cela ne vous blessera pas), si vous auriez consenti… — Non. — J’aimerais à pouvoir dire, et sans vous offenser, que j’aurais voulu avoir cette occasion de